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effet, c’est ce molle atque facetum qu’Horace a attribué à Virgile et qu’Apollon ne donne qu’à ses favoris. En voulez-vous des exemples… »

Et notez que ceci a été écrit en 1665 ; c’est-à-dire à une époque où La Fontaine, qui n’avait encore publié aucune fable, ne s’imposait point du tout par le prestige de la gloire.

Il me semble aussi que Boileau dans ses Réflexions critiques sur Longin a écrit : « Le vrai tour de l’épigramme, du rondeau, et des épîtres naïves ayant été trouvé, même avant Ronsard, par Marot, par Saint-Gelais et par d’autres,… leurs ouvrages en ce genre ne sont point tombés dans le mépris, mais sont encore aujourd’hui estimés jusque-là même que pour trouver l’air naïf en français on a encore quelquefois recours à leur style, et c’est ce qui a si bien réussi au célèbre M. de La Fontaine. »

Il me semble que Boileau dans sa lettre (destinée à être publique) à Charles Perrault (1700) écrit : « Avec quels battemens de mains n’y a-t-on point reçu [en France] les ouvrages de Voiture, de Sarrazin et de La Fontaine ? Quels honneurs n’a-t-on point rendus à M. de Corneille et à M. Racine ? » — Il paraît constant que Boileau n’a point trop écarté le nom de La Fontaine.

De même on n’entend pas trop bien M. Girard-Gailly quand il écrit : « Boileau a ignoré La Fontaine. Furetière l’a attaqué. La Bruyère de même. » M. Gérard-Gailly veut-il dire que La Bruyère a ignoré La Fontaine comme Boileau l’a ignoré, ou qu’il l’a attaqué comme Furetière l’a attaqué ? Je ne sais ; mais ce que tout le monde connaît, c’est qu’il ne l’a pas plus ignoré que Boileau et qu’il l’a loué au lieu de l’attaquer, comme fit Furetière. Faut-il encore citer ces passages célèbres : « Un homme paraît grossier, lourd et stupide ; il ne sait pas parler, ni raconter ce qu’il vient de voir : s’il se met à écrire, c’est le modèle des bons contes ; il fait parler les animaux, les arbres, les pierres, tout ce qui ne parle point : ce n’est que légèreté, qu’élégance, que beau naturel et que délicatesse dans ses ouvrages. » — Pour quelqu’un qui ignore un homme, ou qui l’attaque !

« Un autre, plus égal que Marot et plus poète que Voiture, a le jeu, le tour et la naïveté de tous les deux ; il instruit en badinant, persuade aux hommes la vertu par l’organe des bêtes, élève les petits sujets jusqu’au sublime ; homme unique dans son genre d’écrire ; toujours original, soit qu’il invente, soit qu’il traduise ; qui a été au-delà de ses modèles, modèle lui-même