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difficile à imiter. » — Pour quelqu’un qui attaque un homme, ou qui l’ignore !

L’aimable, le savoureux ouvrage de M. Gérard-Gai) ly est déparé par ces petites tares ; mais, après tout, ce sont vétilles et le livre, en son ensemble, encore que je ne sois pas du même sentiment que M. Gérard-Gailly sur son héros, reste un régal de délicats.

Le chevalier de Bussy, comte de Rabutin, était né en 1618, d’une très bonne et même illustre famille bourguignonne. Il fit de très bonnes études chez les Jésuites d’Autun, aimant les auteurs latins d’un goût vif qui ne lui passa jamais. A seize ans il suivait son père à l’armée, en Lorraine. Dès lors, campagne sur campagne. Il sert sous Henri de Condé, père du grand Condé ; il sert sous Turenne, il sert sous le grand Condé ; il se bat en Flandres, en Lorraine, en Artois, en Catalogne ; sous la Fronde, il est d’abord du parti des princes et ensuite du parti du Roi, ce que je ne lui reproche point du tout, les choses de la Fronde étant fort confuses, et telles qu’on leur doit appliquer le mot de Renan : « Il faut se contredire pour être à peu près sûr qu’on a été une fois dans la vérité. »

A travers tout cela, des duels, des amours et des sottises de jeune homme. En 1640, en garnison à Moulins, il fait connaissance avec une comtesse de Busset ; il converse très agréablement avec elle ; elle est forcée de partir, il la reconduit lentement jusque chez elle ; c’était assez loin ; pendant ce temps, ses soldats, abandonnés à leurs penchans naturels, pratiquent la contrebande du sel, les rançonnemens et les vols sur les grandes routes. Sur quoi le jeune colonel fut appelé d’urgence à Paris. Mon Dieu ! il était simplement déserteur. Il fut mis en pénitence à la Bastille, où on l’amusa cinq mois. Quoi qu’on dise, il y a quelques inconvéniens pour tout le monde, et pour eux, à avoir des colonels de 23 ans.

En 1648, et Bussy est ici moins excusable, car il a trente ans et ce n’est plus, ce semble, l’amour qui le point, il enlève à main armée, entouré d’un véritable bataillon d’estafiers, Mme de Miramion, jeune veuve de dix-neuf ans, mythologiquement riche, et il la traîne en carrosse bien fermé, pleurante, criante, hurlante, coupant les courroies, se jetant par la portière, ramenée au carrosse, s’évanouissant, se mourant, de relais en relais, au triple galop, de Paris à Sens. Il fallut la relâcher ; il y avait émeute dans la ville.