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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/187

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jours, trois semaines ou un mois, une femme attaquée n’a pas pris le parti de la rigueur, elle ne songe plus qu’à disputer le terrain pour se faire valoir. Et si, contre toute apparence et contre l’usage, ce combat de l’amour et de la vertu durait dans son cœur jusqu’à la mort de son mari, alors elle serait ravie… » Ce qui paraît à Bussy le plus contre les apparences et contre l’usage, c’est donc la vertu elle-même de Mme de Clèves, c’est le fond même du roman, c’est tout le roman. Il le trouva, du reste, bien écrit. J’ai dit naguère que ce jugement littéraire de Bussy-Rabutin ressortissait à la critique de corps de garde. C’est un peu dur ; c’est seulement un peu dur.

Segrais, — ce que je rapporte seulement pour montrer que le public du temps n’a pas été tout entier, même sur la question de l’aveu, de la même opinion que Bussy, — dit, paraît-il, dans ses conversations (Segraisiana) : « M. de Bussy trouva mauvais dans ses lettres que la princesse de Clèves déclare à son mari le penchant qu’elle avait pour M. de Nemours, prétendant que cela n’est pas possible ; mais ce qu’il en dit ne mérite pas de réponse parce qu’il n’entendait pas la beauté de ces sortes d’ouvrages. » — C’est un peu dur ; c’est seulement un peu dur.

Quant à Mme de Sévigné, on a pu observer qu’elle n’est pas très brave et n’aime pas à contredire. Elle a battu en retraite sur la question d’Esther, après avoir sonné la victoire en fanfare ; elle fit de même, quoique Mme de La Fayette fût son amie intime, sur la question de la Princesse de Clèves. Le 18 mars 1678, elle écrivait à Bussy : « C’est un petit livre que Barbin nous a donné depuis deux jours qui me paraît une des plus charmantes choses que j’aie jamais lues. » Mais aussitôt qu’elle a reçu la critique, ci-dessus rapportée, de Bussy-Babutin, elle s’empresse de lui donner raison et même, semble-t-il, d’assurer que l’on pourrait être plus sévère encore ; « Votre critique de la Princesse de Clèves est admirable, mon cousin. Je m’y reconnais et j’y aurais même ajouté deux ou trois petites bagatelles qui vous ont assurément échappé. Je reconnais la justesse de votre esprit et la solitude ne vous ôte rien de toutes les lumières naturelles ou acquises dont vous aviez fait une si bonne provision… J’ai été fort aise de savoir votre avis et encore plus de ce qu’il se rencontre justement comme le mien : l’amour-propre est content de ces heureuses rencontres. » — Et Bussy ayant répondu que s’ils se mêlaient, sa cousine et lui, « de composer ou de corriger une