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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/186

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et sur le dénouement, et il condamna nettement l’un et l’autre. De plus, sur la vertu elle-même de Mme de Clèves, il fut plus sévère que Valincour, déclarant qu’elle était la chose la plus invraisemblable. Procédons par ordre et distinguons bien.

Sur l’aveu, il prononce comme suit : « L’aveu de Mme de Clèves à son mari est extravagant et ne peut se dire que dans une histoire véritable ; mais quand on en fait une à plaisir, il est ridicule de donner à son héroïne un sentiment si extraordinaire. L’auteur, en le faisant, a plus songé à ne pas ressembler aux autres romans qu’à suivre le bon sens. Une femme dit rarement à son mari qu’on est amoureux d’elle ; mais jamais qu’elle ait de l’amour pour un autre que pour lui et d’autant moins qu’en se jetant à ses genoux, elle peut faire croire à son mari qu’elle n’a gardé aucunes bornes dans l’outrage qu’elle lui a fait. » — Il faut remarquer, comme je l’ai déjà fait dans mon article sur Valincour et comme le fait M. Gérard-Gailly dans son livre, que Bussy concéderait que l’on racontât cet incident dans une histoire qui serait vraie ; mais le repousse comme invraisemblable dans une histoire inventée. M. Gérard-Gailly relève cette réflexion pour en louer Bussy. Je ne sais trop s’il a raison. Tout compte fait, cette réflexion ou réserve, de bonne critique générale, du reste, et marquant assez bien les différences entre le roman réaliste et le roman romanesque, revient à dire ceci : « C’est si follement invraisemblable qu’il faudrait que ce fût historique et authentique pour que ce fût cru. » Par cette prétendue réserve, Bussy incrimine donc et condamne l’invraisemblance de l’aveu plus que jamais et autant qu’il est possible de le faire.

Sur le dénouement, comme Valincour, Bussy est stupéfait de ce que Mme de Clèves veuve n’épouse point M. de Nemours. Elle devrait être « ravie de pouvoir accorder ensemble son amour et sa vertu en épousant un homme de sa qualité, le mieux fait et le plus joli cavalier de son temps. » Ceci est sommaire et gros. Au moins Valincour donnait ses raisons et montrait qu’il n’avait pas laissé d’essayer de comprendre.

Enfin sur la vertu, en soi, de Mme de Clèves, Bussy prend une décision qu’il me semble que M. Gérard-Gailly a eu tort de passer sous silence ; car elle est très caractéristique : « Il n’est pas vraisemblable qu’une passion d’amour soit longtemps, dans un cœur, de même force que la vertu [qu’il y ait égalité de forces entre l’amour et la vertu]. Depuis qu’à la Cour, en quinze