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et les plus rares qualités dame et d’esprit. Il n’est pas douteux que, comme la princesse Louise, elle n’ait gémi, pendant l’émigration, des désordres de son père et qu’elle ne s’alarme maintenant de son asservissement à la dangereuse créature qui s’est emparée de lui. Mais ses lettres ne font aucune allusion à ses craintes et ne permettent pas de penser qu’elle prévoit déjà que l’influence malfaisante qu’il subit lui sera fatale à elle aussi.

En revanche, en voici une de la princesse Louise, écrite du Temple, le 6 janvier de cette même année 1818, portant en haut de la page la formule conventuelle : « Loué et adoré soit le Très Saint-Sacrement, » et où l’allusion aux causes de l’absence du Duc de Bourbon est visible, quoique voilée.

« Et moi aussi, cher et tendre ami, je vous la souhaite cette année aussi heureuse que possible… Ce n’est pas beaucoup dire. Je n’ai pu m’acquitter de ce devoir, mais je le remplis aujourd’hui de tout mon cœur. Au surplus, êtes-vous réellement mon aîné ? J’en doute presque, car je me crois l’aînée de tout l’univers par le gothique de mes idées et de mes sentimens sur tout ce qui se voit en ce bas monde.

« Mon pauvre père est revenu le 31 décembre, et je l’ai vu le 2 janvier ; il a bon teint et le fond de sa santé est bien pour son âge ; mais la tête a ses variations comme à l’ordinaire ; pour le cœur, il a toujours les mêmes sentimens, et Mme de Rully m’a dit que chaque voiture qu’il entendait, ou croyait entendre, il disait, les larmes aux yeux : « C’est peut-être mon fils qui arrive. » Ah ! cher ami, cela me déchire l’âme, et je ne puis l’écrire sans verser des larmes moi-même. Mais que puis-je ajouter à tout ce que je vous ai mandé là-dessus ?… Je prie Dieu qu’il nous exauce…

« Je ne sais ce que c’est que ce Landey d’où votre lettre est datée, c’est apparemment quelque terre d’un de vos amis anglais. Adieu, je vous embrasse comme je vous aime. Soyez bien persuadé, cher frère, que je suis et serai toujours la meilleure pour vous. »

Quelques jours plus tard, le 12 janvier, c’est la comtesse de Rully qui écrit à son père :

« J’ai enfin reçu, hier, un mot aimable de vous, très chérissime ; il y avait si longtemps, mais si longtemps que j’étais privée de ce bonheur que, hélas ! je m’en lamentais tous les jours. Tout est maintenant réparé et je ne saurais trop vous remercier d’avoir fait cesser ce silence qui m’inquiétait et m’affligeait véritablement…