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ESSAIS ET NOTICES

LES MÉMOIRES DE JULES SIMON[1]

En mars 1890, Jules Simon, un instant arraché par Eugène Spuller, ministre des Affaires étrangères, à la retraite où, si noblement, il s’était confiné, alla représenter la France à la Conférence internationale de Berlin. L’empereur Guillaume II, jugeant nécessaire l’instauration en son empire d’une réglementation assez sévère du travail des adultes, avait saisi l’Europe de la question. Le renard, cette fois, avant de se couper la queue, entendait que les autres consentissent à l’amputation. Il fut déçu : en ce qui concerne le travail des adultes, la conférence échoua. À cet échec, Jules Simon, libéral impénitent, contribua plus qu’aucun des plénipotentiaires. Contre l’autoritarisme germanique, contre l’étatisme et le socialisme, il fit triompher la doctrine libérale. Ayant parlé avec une émotion sincère des misères de la classe ouvrière et avec une expérience avertie du travail des femmes et des enfans, il avait, d’autre part, exposé avec finesse les conséquences auxquelles conduirait la réglementation du travail des adultes. On avait admiré ce vieillard presque octogénaire : il avait tenu, suspendus à ses lèvres, les représentais de l’Europe entière, diplomates savans, ingénieurs, parlementaires, hommes d’État, que tant de talent ravissait : il avait dissous les coalitions très doucement, convaincant sans pédantisme, mais au nom du bon sens, et vainquant sans avoir eu un moment l’air de se battre ! Sa voix, restée charmeuse en dépit de l’âge, ne fit jamais meilleure œuvre : sa parole fluide avait paru d’or. L’Empereur, lui-même séduit, ne garda pas rancune à « Simon le Magicien, » — comme on l’avait un jour appelé au Vatican : — il lui

  1. Figures et Croquis, par Jules Simon, 1 vol. in-16 ; Flammarion.