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libéralisme économique de l’élève, moi, monsieur, je suis protectionniste, parce que je suis patriote. » Et Simon d’ajouter : « Il était aussi actionnaire des mines de l’Aveyron. » D’ailleurs, il rend à Cousin mille fois justice sur un point : le trouvant parfois un peu trop comédien, il salue en lui un admirable pince-sans-rire : l’entrevue entre le directeur de l’École normale et le curé Ollivier ressemble à un conte d’Alphonse Daudet.

Je trouve le même genre d’esprit, — celui de l’auteur des Contes de mon moulin, — dans l’aventure de Garnier-Pagès. C’est une des pages délicieuses du dernier recueil : Garnier-Pagès est une des « Figures, » — et une bonne. Là, Jules Simon ne sourit pas seulement : il rit franchement. Cela débute cependant par la touchante histoire des frères Garnier-Pagès dont l’un s’appelait Garnier et l’autre Pagès, dont l’un fut toujours tenu pour le grand homme et l’autre pour le comparse, jusqu’à ce qu’il fût devenu ministre. L’intérieur des parens Garnier-Pagès est peint par un conteur : le portrait physique du ministre de 1848 a l’air d’une charge. « Il mettait sa cravate par-dessus sa barbe. Cette figure était toute petite… elle était placée comme un bouquet de fleurs un peu ternies, un peu défraîchies, dans un immense col de chemise qui paraissait en fer-blanc. » « Un jour, raconte Simon, que Lamartine parlait, entouré du gouvernement provisoire, Garnier-Pagès qui se croyait le plus éloquent, parlait en même temps que lui et s’efforçait de couvrir sa voix. Un gavroche lui cria : « Si tu ne te tais pas, je vais arroser ton bouquet. » Le mot était si drôle et la comparaison du bouquet si bien trouvée que personne ne put garder son sang-froid. » Simon eut peine à le garder encore lorsque Garnier-Pagès lui confia qu’il voulait se présenter à l’Académie : Simon l’en dissuada : « Thiers en est bien, » répliqua le bon Pagès. Notre chroniqueur s’égaie, et puis, soudain, sa bonne âme lui fait évidemment un reproche : il a trop persiflé le pauvre Garnier-Pagès et comme si le brave homme au faux-col était encore là, pouvant souffrir de ces railleries, il étend sur la petite plaie faite tous les baumes possibles.

Jules Simon agit toujours ainsi : il pique, puis verse le vulnéraire. Peu d’hommes échappent à son innocente raillerie, même parmi ceux qu’il aime et admire. Voici Lamartine en 1848, après le refus opposé au drapeau rouge. « Dès qu’il s’asseyait quelque part, on lui mettait une couronne de lauriers. Les dames pleuraient. Tous ceux qui le suivaient avec tant d’enthousiasme l’auraient jeté à l’eau, quinze jours auparavant, pour avoir écrit son Histoire des Girondins qui a servi de prélude à la Révolution. » Voici Louis Blanc : Jules Simon nous