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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/230

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déclare que la foi politique du fameux leader socialiste impose le respect : il n’y manque évidemment pas, à son sens, en rappelant que, petit de corps jusqu’à être contrefait, le théoricien avait cru devoir, en 1848, se grandir en chaussant pour les cérémonies officielles des bottes à l’écuyère. « Il ne parvenait pas à se rendre ridicule, » ajoute Simon, et il résume un portrait piquant par ces mots : « C’était un brave homme, un esprit faux, un cœur chaleureux. »

L’excuse, aussi bien, — s’il est besoin d’excuse à ces courtoises railleries, — serait dans ce fait que le chroniqueur se raille lui-même en toute occurrence. Le voici qui, en 1848, harangue d’un balcon de Saint-Michel-en-Grève (Côtes-du-Nord) une mer de larges chapeaux plats : vers lui montent les acclamations enthousiastes, et le voici qui après son discours enflammé, est soudain enlevé, porté en triomphe, embrassé (« J’appris par expérience, dit-il, que nos compatriotes des campagnes ont la barbe plus dure que les citadins, ») et longtemps escorté dans sa retraite par les ovations. « Eh bien ! dit son barnum en s’essuyant le front, j’espère que vous êtes content ? » Je fis le modeste. « Oh ! dit-il, on ne reçoit pas une ovation comme celle-là sans sentir quelque chose. Allons, avouez. Ce sont des paysans, mais ce sont des hommes ! » Je finis par convenir de quelque chose. « Eh bien ! dit-il, nous étions là six mille, n’est-ce pas ? Excepté nous dix, et trois autres que je pourrais nommer, personne, entendez-vous bien, personne n’entendait un mot de français. Tous ces applaudissemens vous ont été donnés de confiance. ». — « C’est le plus grand succès oratoire de toute ma vie, » ajoute le chroniqueur. Comment garder rancune d’être raillé par qui se raille ainsi ?

De cet auto-persiflage, je ne citerai qu’un second trait. M. Jules Simon annonce solennellement qu’il va écrire des Mémoires militaires, — le capitaine Coignet l’empêchant de dormir. Et voici un chapitre sur la garde nationale auquel il faut renvoyer le lecteur. Un jour, le maréchal Lobau aperçoit le soldat Simon (qu’il savait professeur en Sorbonne) avec un fusil sans bretelle : « Rappelez-vous, monsieur le spiritualiste, qu’un fusil sans bretelle est un corps sans âme. » Le professeur Simon médite sur cette parole. « Je ne comprends pas encore, avoue-t-il, pourquoi la bretelle occupait un rang si élevé dans les préoccupations du maréchal. » La suite des réflexions est d’un pince-sans-rire qui connaît ses auteurs : « Horatius Flaccus… jeta un jour son bouclier pour s’enfuir plus lestement du champ de bataille :

Relicta non bene parmula.