qu’il n’en faisait pas montre et qu’il ne l’exerçait qu’avec à-propos. Placé par la Constitution au-dessus des partis, il n’a manifesté de préférence pour aucun ; il s’est seulement appliqué à faciliter l’exercice du pouvoir à celui qui avait la majorité. Quant à lui, il semblait ne se préoccuper que des intérêts généraux du pays, et des travaux qui devaient aider au développement de sa richesse. Cette richesse, on le sait, a pris sous son règne une croissance prodigieuse : le mérite n’en revient évidemment pas à lui seul, mais il en a en une part considérable. Il était aussi artiste à sa manière ; il aimait les beaux monumens, les grandes et luxueuses installations ; un de ses rêves était de consacrer à l’embellissement de la Belgique l’argent qu’il tirait du Congo. Mais il ne lui suffisait pas que son pays fût prospère, ni même qu’il fût beau et brillant, il voulait encore qu’il fût suffisamment fort, et, bien qu’elle soit assurée par plusieurs grandes puissances, il pensait que sa neutralité serait plus sûre encore si son organisation militaire y ajoutait un supplément de garantie. L’esprit du Roi était trop réaliste pour donner une valeur absolue aux traités les plus sacrés. S’il avait été pacifiste à la mode du jour, il aurait aimé à croire que la Belgique n’avait pas besoin de fortifications, ni d’armée, puisqu’elle était neutre, et il se serait endormi dans une sécurité dangereuse. Il a cru, au contraire, que cette sécurité dépendait en partie de l’armée belge et que, dans certaines éventualités, elle en dépendrait tout à fait. Aussi s’intéressait-il passionnément aux projets militaires qui viennent d’agiter la Belgique et d’y ébranler la constitution des partis. Dans un élan de patriotisme qui lui fait honneur, le chef du Cabinet catholique actuel, M. Schollaert, n’ayant pas pu s’entendre avec une fraction de sa majorité pour introduire dans l’armée le service personnel, a recherché ou accepté le concours des libéraux en vue de réaliser cette réforme nécessaire. Le Roi était mourant lorsque la loi militaire a été enfin votée : il a tenu à signer lui-même le décret de promulgation, et c’est la dernière signature officielle qu’il ait donnée. Après cela, il a pu considérer sa tâche comme terminée, et il s’est endormi dans la mort.
On sait qu’il a gardé sa présence d’esprit jusqu’au dernier moment. Une opération chirurgicale tentée sur lui à la dernière extrémité avait réussi ; ses forces semblaient revenir : on a pu le croire sauvé. Une embolie l’a emporté en quelques secondes. Il a donné jusqu’à la fin un bel exemple de fermeté, non exempte de la sécheresse qui était dans sa nature. Ce roi, qui a eu toutes les passions et quelques-unes des pires faiblesses humaines, était pourtant un intellectuel. L’intel-