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et grave, également bienveillante au rêve et au travail, comme elle est également ouverte à la senteur des bois et à l’odeur des terres labourées. D’un côté, Upsal touche à la forêt, de l’autre à la plaine qu’ensemencèrent les rois et où, depuis Gustave-Adolphe, le Conseil de l’Université peut compter ses javelles et voit paître ses vaches. Upsal ne sépare pas plus la pensée de la glèbe que les vivans des morts. A deux pas du Palais des Facultés, derrière la Carolina, son avenue la plus ombragée longe le cimetière ; et ce cimetière lui-même, d’où l’on aperçoit à droite l’Observatoire, à gauche le Laboratoire de Chimie, forme, avec ses allées de bouleaux, de sorbiers et d’érables, la plus belle promenade de la ville. C’est ici l’Ite missa est des cours universitaires. Hormis les tombeaux des Nations où se dressent de lourds granits, les tombes, — presque toutes des tombes de professeurs, — y sont aussi simples que dans un cimetière de campagne. Aucune couronne, aucune fleur artificielle n’est suspendue aux branches des croix. Mais, dans la plupart des enclos, devant le tertre de gazon, une chaise, un petit banc vous invite à reprendre avec le défunt l’entretien qu’un moment d’angoisse interrompit et marque d’une façon touchante la continuité de la vie à travers la mort.

C’est près de ce cimetière que j’aimais entendre la cloche de la Reine Christine. Elle tinte à neuf heures du soir, très douce et très claire ; et voici des siècles qu’elle tinte. L’histoire qu’on m’a contée est-elle authentique ? L’origine de cette sonnerie remonterait plus haut qu’à la reine Christine, jusqu’aux temps catholiques. En ces temps fort obscurs, une dame mourut, qui laissa une somme d’argent afin que tous les soirs une cloche sonnât pour le repos de son âme. Le protestantisme remplaça le catholicisme. Gösta Wasa fit tailler des culottes à ses fils dans le satin et les broderies des chapes d’évêques. La Suède éprouva de rudes orages. Mais les sonneurs d’Upsal se transmirent religieusement le legs et le vœu de la morte ; et la cloche tinte toujours. Ce ne serait pas la cloche de la reine Christine : ce serait la cloche qui, depuis bientôt quatre cents ans, sonnerait chaque soir pour le repos de l’âme de Mme X. Décidément, l’histoire est trop jolie. Il suffit qu’elle soit vraisemblable. En Suède, je n’en ai pas douté : les esprits rendaient des sons qui ne me paraissaient ni moins anciens, ni moins traditionnels.

Si l’on poursuit l’avenue du cimetière, on achève de gravir