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le coteau d’Upsal et on arrive au pied du vieux château de briques. Rien de plus charmant qu’une éminence dans une large plaine. En deux pas vous avez conquis toute l’immensité. L’endroit est sauvage. Près du château, au milieu de la verdure, des ruines s’élèvent : les deux cachots des Sturé, fondateurs de l’Université, qu’égorgea le roi Eric. Le fou les égorgea, puis se sauva dans les bois. De cette hauteur, vous distinguez à l’horizon, par-delà les champs où l’air est si calme que la fumée des trains y Hotte ininterrompue longtemps après qu’ils ont passé, l’antique emplacement et les vagues tumulus du Premier Upsal. Sous vos yeux, la petite ville aux rues scabreuses descend jusqu’à la rivière. Les flèches de la cathédrale, qui en sont la seule finesse, s’élancent hors du feuillage. Le crépuscule tombe. Une étoile apparaît et brille dans l’entre-deux en pointe qu’elles dessinent sur le ciel. Quelques fenêtres du château, où réside le gouverneur, s’allument. Le seul bruit d’une cascade sort de cette ville d’études et de loisirs que recouvrent, avec tous leurs parfums, la paix des bois et la paix des champs. C’est le même silence que dans une grande ferme où les travaux du jour ont cessé et qui s’endort près de son torrent.

Rydberg, qui fut, vers 1885, un des conducteurs d’âmes de la jeunesse upsalienne et qui est resté un des poètes les plus purs de la Suède, imagine que, la nuit, un des génies familiers de la campagne suédoise, un de ceux qui mettent la maison en ordre pendant que les gens y reposent, le vieux Tomté s’arrête et réfléchit. Le bruit du torrent a réveillé l’idée qui le tourmente, l’idée d’une énigme impossible à résoudre : d’où viennent et où vont tous les petits êtres qu’il a vus grandir et disparaître et se succéder les uns aux autres ? Il la chasse, va soigner les bêtes, et, son ouvrage fait, il se glisse, selon son habitude, près du berceau des enfans. Là, l’énigme s’impose à son esprit plus angoissante : d’où sont-ils descendus et où vont-ils, ces petits êtres ? Il retourne dans son grenier, sous le faîte du toit. Le nid de l’hirondelle y est maintenant vide. De retour au printemps l’hirondelle lui racontera ce qu’elle aura vu, mais elle ne saura rien lui dire du grand problème. Il s’assoupit. Un rayon de lune entre et joue dans sa barbe. Le bruit du torrent lui arrive, assourdi, et il croit y entendre le vaste flot de la vie universelle, intarissable. Mais où est la source ? Où est la mer ?

Comme la poésie de Rydberg s’harmonisait pour moi avec