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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/322

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l’esprit de ce paysage ! En quoi la petite ville d’Upsal, un des points éclairés du monde où s’élabore la science humaine, diffère-t-elle de ceux que je connais ou leur ressemble-t-elle ? Cela vaut-il la peine d’être noté ? Qu’importe, dans le bruit du torrent, qu’une goutte soit plus limpide ou plus sonore qu’une autre ? Le vieux Tomté ne se demande point si les générations d’hier étaient meilleures que celles d’aujourd’hui, mais seulement d’où elles viennent et où elles vont. Ainsi, sur les très vieilles terres, l’esprit se porte d’un mouvement naturel vers les questions d’où leur longue et pesante durée n’est plus qu’une ride imperceptible au visage du temps. C’est là cependant qu’il fait bon vivre. C’est là qu’on voudrait arriver à fixer un moment de l’éternité…


Quand on rencontre dans les rues un homme d’âge, on se dit : « Ce doit être un professeur ou un bibliothécaire, le Hector Magnificus ou l’Archevêque, à moins que ce ne soit le Gouverneur. » Mais cette ville d’étudians est aussi tranquille qu’une retraite de vieillards. J’y arrivai une première fois à l’ouverture des cours, au commencement de septembre. Elle se remplit peu à peu de casquettes blanches ; mais tous ces jeunes gens n’y répandaient qu’une animation silencieuse. Le soir, le long des trottoirs, sous les lanternes rouges des bureaux de tabac, des groupes se formaient comme s’ils se concertaient à voix basse pour un coup extraordinaire. Puis ils se débandaient, et chacun tirait de son côté. Quelques-uns restaient plantés là, dans l’ombre grandissante où l’on ne distinguait plus que la blancheur de leur casquette et le feu de leur cigare. Méditaient-ils sur la double nature du Christ ? Appréhendaient-ils seulement de rentrer chez eux ? Je demeurais en face du Lycée. Quatre fois par jour, les élèves passaient sous mes fenêtres. Je percevais le bruit de leurs petits pas réguliers qu’aux premiers vents assourdirent les feuilles mortes ; mais de rires et de cris, je n’en ai entendu que le jour où la neige commença de tomber, et bientôt la neige éteignit leur faible murmure.

Pourtant je garde d’Upsal une telle vision de jeunesse que cette vénérable ville me paraît avoir réalisé le désir de Rydberg qui souhaitait à son peuple suédois un esprit de jeune garçon. Je ne songe point aux yeux bleus et aux fraîches couleurs roses des étudiantes, des écolières, des sœurs et des fiancées. Je ne