timides et brutaux. Timidité et brutalité, c’est tout le secret de leur intime angoisse. La Suède ne condamne pas la défaillance charnelle ; mais elle abomine le péché d’amour. Qu’un jeune homme cède à l’attrait physique et s’humilie dans la crudité morose d’une satisfaction qui ne s’est parée d’aucune illusion de tendresse, on l’admet fort bien ; mais, s’il s’avisait de prendre une maîtresse et de l’aimer, les pavés d’Upsal, qu’ont foulés tant de théologiens, se soulèveraient d’indignation. Du temps que Tegner était évêque à Vexiœ, il aima une femme mariée et il en fut aimé. Elle mourut. Nous devons même à cette mort une de ses plus ardentes poésies. Le mari la croyait innocente, et, pour affirmer sa confiance, il fit sculpter une colombe sur son tombeau. Les habitans de Vexiœ brisèrent la colombe. On la briserait encore aujourd’hui. Cette haine de l’amour défendu est si enracinée dans les esprits que, pendant mon séjour en Suède, trois jeunes filles de la société de Stockholm se cachèrent un soir dans une chambre où elles savaient qu’une de leurs compagnes recevait un personnage connu. Elles assistèrent sans broncher au flagrant délit et se vantèrent ensuite de leur bel exploit. Je n’ai pas entendu une seule protestation contre ce honteux espionnage.
Point d’aventures amoureuses ; nulle galanterie ; mais d’abondantes lippées. De cette bohème trop souvent ivre dont les héros nous sont presque toujours représentés comme de gros messieurs humides de punch, les étudians n’ont gardé qu’un certain penchant à l’ivresse et un goût de tapage et de hurlemens qui, régularisé et concentré à jours fixes, m’a paru très conventionnel. Mais ils continuent de chanter les chansons des Gluntarna. Elles furent composées par le poète Gunnar Wennerberg qui mourut plus tard dans les graves fonctions de Conseiller Ecclésiastique. Ce sont des espèces de petits mimes où tour à tour l’étudiant Glunten et son Magister, un peu Ofverliggare, décrivent et célèbrent la vie d’Upsal, ses restaurans, ses fêtes universitaires, sa forêt, son château, son cimetière, ses « noctambulades, » ses saouleries. La musique en vaut mieux que les paroles ; mais le réalisme en est parfois curieux, et plus curieuse encore la mélancolie qui s’en exhale, une mélancolie moins épicurienne que biblique. Il y a toujours du psalmiste dans le Bacchus du Nord. Ajoutez un sentiment délicat et Linnéen de la nature, l’émotion réelle que donne à ces enragés