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buveurs le point vert du premier brin d’herbe. Glunten a passé son examen, et l’on va s’enivrer dans le jardin printanier qui luit. Il commande des radis noirs, du hareng, du renne fumé, du madère, de la bière, de l’eau-de-vie. L’eau-de-vie qu’on lui apporte est mauvaise : « Jetez-la dans l’herbe ! s’écrie-t-il ; mais attention aux petites anémones ! » Le soleil descend ; le magister ! et son élève flageolent. « Couchons-nous sur le gazon. Chut ! On l’entend pousser… Les campanules te sonnent le repos, Glunten ! Plus tard, après les tracas et les luttes, tu reposeras dessous. Et d’autres cloches sonneront, Glunten, crois-moi… »


Pauvre vie, et que nous serions tentés, lorsque le travail ne la remplit pas, d’estimer monotone, plate et lourde ; mais attention aux petites anémones ! Elle a des replis qui recèlent de la poésie et de la beauté morale.

Non, les étudians d’Upsal, et, d’une façon générale, les Suédois n’aiment pas leur tâche. Ils s’en acquittent par ambition, par vanité, le plus souvent par devoir. Ce que me disait un de leurs pasteurs, « qu’ils font le bien sans charité, » s’applique à tout ce qu’ils entreprennent. Ils ne s’aiment même pas beaucoup entre eux. « Ils se pendraient plutôt que de rendre hommage au talent d’un compatriote. » Un artiste ne trouve grâce à leurs yeux que lorsque son mérite a reçu l’estampille de l’étranger. Ils n’honorent que la correction. Les natures originales qui refusent de se mouler sur des formes convenues sont impitoyablement repoussées à l’arrière-plan.

Mais leur défaut d’enthousiasme et de spontanéité se rachète par la mélancolie de leur vie intérieure. L’optimisme suédois baigne dans la mélancolie. Sous l’orgueil qui les contracte et les raidit, je sens une timidité presque douloureuse. La force d’expansion, dont Heidenstam leur reproche d’avoir manqué dans leurs périodes de conquêtes et de victoires, ils ne l’ont pas plus dans leur commerce journalier. Gardons-nous d’être dupes de leur apparente cordialité. Les professeurs d’Upsal semblent au premier abord former une famille patriarcale. S’ils se tutoient comme des frères ou de vieux amis, ce tutoiement n’est qu’un moyen de simplifier les rapports dans un pays dont la langue ignore le vous et saute sans transition de la troisième personne cérémonieuse au tu de l’intimité. Le cœur n’y est pour