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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/340

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et, dans toute la chambre, on n’entendit qu’un seul mot : « Les barbares ! » Je me rappelle le silence, les rumeurs de la nuit, et mon cœur serré comme à un son de tocsin ou à une odeur d’incendie. Je ne comprenais pas encore le vrai sens de ce mot ; j’ignorais qu’à ce mot de barbares, les femmes épouvantées arrachaient leurs enfans des berceaux et que les hommes prédisaient des temps crépusculaires. Je comprenais seulement qu’un événement prodigieux était survenu. Dans les courtes lignes de ce papier, on lisait que l’Empereur des Français s’était rendu prisonnier à Sedan. »

Le même soir d’automne, vingt-cinq ans plus tard, Heidenstam avait grimpé sur les hauteurs du Hartz. A côté du sentier, une pierre portait le nom des enfans du pays tombés à Sedan sous les balles françaises. Entourés de torches, couronnés de chêne, des vétérans s’étaient groupés devant cette pierre votive, pour une commémoration ; et à travers la forêt résonnait un sombre psaume de mort. « Alors, je songeai au mot unique et si impressionnant entendu dans mon enfance. Je savais maintenant. Les barbares, c’étaient nous. C’étaient les Germains, et j’en suis. »

Le travers le plus divertissant du Français quand il voyage, c’est de demander à chaque étape : « Est-ce qu’on nous aime ici ? » Nos romantiques lui ont tant rebattu tes oreilles que Paris était la capitale du monde et que tout homme digne de ce nom avait deux patries, la sienne d’abord et puis la France ! Nous sommes altérés de l’amour des nations. Qu’elles achètent nos produits ou les dédaignent, qu’elles usent de nos méthodes ou les ignorent, peu importe ; mais qu’elles nous aiment ! Nous n’en voulons qu’à leur cœur. Pour moi, qui ai un peu voyagé, je confesse tristement que je n’ai jamais encore rencontré de pays où nous fussions « aimés. » Comme on connaît partout notre faiblesse sentimentale, j’ai entendu partout le même concert et les mêmes protestations de reconnaissance et d’amour, que partout démentait une infatigable exploitation contre nous de notre prétendue légèreté et de notre immoralité légendaire. Je me suis consolé en observant que les nations ne s’aiment que dans la mesure où elles croient avoir besoin les unes des autres, et que la crainte qu’elles inspirent est une sérieuse école d’admiration.

La Suède nous a aimés jusqu’à notre défaite, et même un