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peu au-delà, jusqu’au jour où, s’autorisant de ses origines germaniques, elle s’est rapprochée de Berlin pour boire quelques gouttes dans la coupe du vainqueur. Le roi Oscar disait au lendemain de 1870 : « Mon sang est français, mon cœur suédois, ma raison allemande. » La raison des Suédois voudrait bien être allemande, aussi allemande que leur pédagogie qui étrangle dans toutes leurs écoles l’enseignement du français ; mais ils sont trop aristocrates et ils furent trop imbus des lettres françaises pour ne pas garder la nostalgie de la culture latine. Si leur science penche vers l’Allemagne, la plupart de leurs écrivains et de leurs artistes inclinent vers la France. Les plus grands d’entre eux, comme autrefois Tegner, comme aujourd’hui Heidenstam, essaient de fondre dans leur art la sincérité rude de l’imagination germanique et la dignité parfaite de l’idéal français. En tout cas, les plus intelligens redouteraient comme un asservissement spirituel la prédominance exclusive de l’influence allemande ; et leurs appréhensions accusent cette instabilité dont l’esprit suédois, toujours à la recherche de lui-même, éprouve une si persistante mélancolie.

À demi dégermanisés et, sur beaucoup de points, plus déliés que l’Allemand dont ils raillent la lourdeur et pèsent les ridicules, les Suédois n’ont pourtant jamais altéré, dans leur fréquentation des Latins, leur caractère d’individualisme. Ce qui nous sépare le plus, c’est à coup sûr notre conception de la liberté. Politiquement, ils sont plus libres que nous, puisqu’ils ne subissent pas la tyrannie des factions et que leur gouvernement, très honnête, n’est pas armé de cet odieux principe qu’on ne gouverne que pour son parti. Ils ont pris contre les lubies toujours possibles de leur Parlement et contre eux-mêmes les plus fortes garanties. Une loi, comme celle du suffrage universel, n’entre en vigueur que si elle a été votée successivement par deux législatures. Le temps qu’une pareille réforme impose assagit l’impatience des réformateurs et dépouille les débats de leur aigreur fiévreuse. Les mesures les plus graves pour le pays ne sont pas emportées d’assaut. On ne les décide qu’avec la collaboration des années. Ni le pouvoir royal, ni le Riksdag aux mains des paysans n’exercent d’oppression. On ne saurait imaginer de peuple où l’égalité devant la loi soit plus réelle.

L’esprit suédois tend perpétuellement à la justice. C’est ce qui fait à la fois sa force et sa froideur. Une société presque