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jamais entendu de plus beaux chœurs d’hommes qu’à Upsal. Leurs poètes furent presque tous des musiciens et conçurent leur poésie avec sa musique. Quel admirable répertoire, et si national ! Tout y luit et bruit de ce qui a touché leur cœur ; leurs nuits d’été, leurs étoiles d’hiver « que les larmes font clignoter, » leurs bois éventés par des souffles polaires, le triste et long murmure des sombres pins, leurs lacs, leurs torrens, leur pays, ah ! leur pays !… « Sonne bien haut, chère parole !… »

Et il leur restera le culte des héros dont il semble qu’Upsal se soit réservé le privilège. Gösta Wasa, Gustave-Adolphe, et Charles XII, qui dotèrent l’Université, y sont chaque année l’objet d’une commémoration pieuse et grave. Ces soirs-là, étudians et professeurs s’exaltent dans l’amour de la patrie. La fierté collective ouvre une issue à leur secret orgueil. La fête de Gustave-Adolphe m’a produit l’effet d’une communion nationale où, par le rêve, les vivans s’égalaient aux morts. Dans l’ombre d’un soir de novembre, les étudians montaient du bas de la ville avec un chant qui ressemblait à un psaume. Leurs pâles bannières passaient sous les arbres dénudés comme des linceuls de victoire. Leur cortège se déploya devant la vieille église paysanne de la Trinité, aux lueurs des torchères ; et, sans qu’ils le voulussent, par la vertu du triste paysage et de leur gravité, ils semblaient revenir du champ de bataille de Lützen et rapporter à sa terre de Suède le glorieux cadavre. Jamais leurs voix ne m’avaient plus impressionné, ni surtout, succédant à l’hymne national, cette chanson mélancolique qu’ils lancèrent vers le ciel à peine éclairé d’un rayon de lune, et sur les derniers sons de laquelle leurs bannières se dispersèrent et disparurent dans la nuit…


Et je me disais : Quand je la compare au Danemark et à la Norvège, la Suède m’apparaît comme la lourde arrière-garde de la race Scandinave. Elle va lentement et traîne avec elle un attirail de statues en bronze. À chaque relais, elle se confond en hommages solennels et tresse des lauriers dont elle couronne ses dieux. Elle est rude et polie. Ses petites filles saluent comme si elles faisaient des faux pas. Elle boit longuement et sérieusement, et, quand elle n’entonne pas des chansons bachiques, elle chante des psaumes. Son élite est composée de jeunes femmes et de vieilles demoiselles qui marchent derrière la bannière de