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Frédérika Bremer et derrière l’oriflamme d’Ellen Key. Ce sont même ces dames qui, de temps en temps, poussent un cri de guerre. Cela détermine une houle dans la digne et correcte arrière-garde. Les théologiens et les pasteurs, qui en sont les sergens et les chefs de file, montrent le poing et font le geste de jeter leur Bible à la tête de la jeune femme ou de la vieille demoiselle. Puis le chant des psaumes repart, et tout rentre dans l’ordre accoutumé. Elle a d’admirables érudits, des savans qui valent par la précision de leur information scientifique et par le scrupule de leur recherche, des artistes qui la désertent parce qu’elle ne les paie pas, des romanciers et des poètes qui aspirent à s’enfuir, qui s’enfuient et qui reviennent pour l’adorer. Elle craint les idées générales et n’abonde pas en idées généreuses. Mais, depuis le cèdre jusqu’à l’hysope, elle est probe, surtout dans les choses du cœur et de l’intelligence spéculative. Et, si son pas est lent, son esprit est parfois agité d’une étrange inquiétude. Elle aime trop la musique et le songe, et elle possède des fous merveilleux. Sa timidité est celle des orgueilleux qui n’ont pas toujours le courage de leur orgueil. Ce qui manque aux meilleurs de ses fils, c’est la discussion aimable et le chaleureux échange des pensées. En dehors des controverses religieuses où s’épanche leur bile, ils ont l’air de se renfermer dans une complète incuriosité les uns vis-à-vis des autres. Ils se contentent de s’aimer en elle, quitte à se jalouser et à se détester cordialement en dehors d’elle. Mais sa passion pour sa terre et pour ses traditions est très noble. Elle se raidit dans la force des souvenirs, et, loin d’en être entravée, elle n’en pose que plus fermement ses profitables empreintes sur la route sans fin.


ANDRE BELLESSORT.