craint un soulèvement du prolétariat à Saint-Étienne et à Toulouse. Le parti de l’Internationale a des hommes d’une audace inouïe et d’une énergie qui contraste avec la mollesse de la bourgeoisie ; d’ailleurs dans son ignorance des affaires, il ne doute de rien !… Je reprends ma lettre, suspendue à cause de quelques visites. On me dit que la déroute du parti de l’ordre s’accuse de plus en plus. Voilà plusieurs journaux, le Siècle, l’Opinion Nationale, le Constitutionnel, qui commencent à lâcher l’Assemblée… Évidemment, comme en 1793, les modérés ont peur ; cela prend la tournure de la grande Révolution. Une foule de boutiquiers, furieux de se voir abandonnés par l’Assemblée de Versailles, inclinent à se soumettre à l’Hôtel de Ville.
Le Comité central a mis en liberté les généraux Chanzy et Langourian ; il veut sans doute, avant les élections, se donner l’air d’être modéré.
Paris, 30 mars 1871. — Je suis allé avant-hier à Versailles, pour les affaires de mon administration ; cette ville présente le coup d’œil le plus singulier, il y règne une animation tout à fait insolite. Elle est bondée de troupes, dont les tentes sont dressées sur toutes les places et dans toutes les avenues. Cependant, malgré cet appareil formidable, qui commence dès Viroflay, les soldats de ligne ne me font pas l’effet d’être bien solides, ils ont une mine misérable ; on me dit que bon nombre d’entre eux se plaignent du régime et demandent à rentrer dans leurs foyers. Évidemment, il y a dans nos troupes une mollesse et une désorganisation déplorables et inquiétantes… Cependant, la cavalerie et les volontaires, qui arrivent de province, sont beaucoup plus solides. Il est difficile que Versailles soit attaqué par nos Parisiens, qui sont des lâches pleins de jactance. La mascarade politique à laquelle nous assistons serait bouffonne, si elle n’était pas très triste. Paris n’est jamais tombé plus bas : la grande cité est au pouvoir de la canaille de Belleville, de Montmartre ou de Charonne. On en forme, à l’Hôtel de Ville, des bataillons de prétoriens-populaciers à qui l’on donne une haute paye. Pour la fête de la proclamation de la Commune, qui a été une pasquinade révoltante, on a distribué quatre litres de vin par homme. C’était le jour où je revenais de Versailles. À 8 heures du soir, en passant rue Saint-Honoré, devant la barricade qui ferme la