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place Vendôme, j’entendis les gardes nationaux qui chantaient : ils étaient tous ivres. Il y avait quelques lanternes vénitiennes aux maisons des bons patriotes. Dans mon quartier, une maison se distinguait par une illumination, on y lisait, en flammes rouges, le nom de B***. C’était celui du marchand de vin de ce nom, membre du gouvernement de l’Hôtel de Ville.

Jusqu’à quand cette parodie de 93 va-t-elle durer ? On ignore les plans de Thiers et de la Commission, qui lui est adjointe. On dit à Versailles qu’il veut réunir 200 000 hommes pour cerner les Prussiens de l’intérieur, avec Trochu à l’extérieur ; mais quoi ! refaire le siège de Paris ? j’ai quelque appréhension de tout cela et c’est alors que je crains des désordres.

La même absence d’esprit politique se révèle dans les feuilles les plus conservatrices. Je t’envoie le National qui, au lieu de soutenir l’Assemblée de Versailles, notre unique arme de salut, déblatère contre elle. Ici, on ne sait que critiquer, renverser, on ne fonde rien. Nous avons la mine de devenir une seconde Pologne, crainte que j’ai exprimée dans la Revue des Deux Mondes, dès le 15 décembre dernier[1] et que j’ai répétée le 15 février.

Et quand on songe qu’il y a des journaux assez niais pour soutenir que tout le mal vient de la défiance qu’on montre à l’égard de Paris dans l’Assemblée ! N’est-il pas clair que les rouges voulaient faire venir l’Assemblée à Paris, pour pouvoir la tenir sous le canon des faubourgs afin de l’envahir et de la chasser dès qu’elle ne ferait pas leur volonté ? Faut-il être assez naïf ou d’assez mauvaise foi pour prétendre que Paris s’est soulevé parce qu’on lui refusait un Conseil municipal ! Les prétentions de la Commune ne prouvent-elles pas que tout cela n’était qu’un prétexte pour s’emparer du pouvoir ? Au reste, ces fous furieux incapables vont se déchirer entre eux. Lis dans le National le compte rendu de la première séance du Comité central à l’Hôtel de Ville et tu verras que cela commence déjà. C’est à mettre en pendant de l’article du Journal officiel de la Commune, où l’on prêche l’assassinat. Sous un calme apparent, il règne une crainte extrême dans les classes éduquées, sauf chez quelques sots ou quelques ambitieux. On a fait disparaître plusieurs barricades aux abords de l’Hôtel de Ville, mais les canons sont toujours

  1. Voyez 15 décembre 1870 : Une Prusse dans l’antiquité : la Macédoine. Voyez 15 février 1871 : Les guerres des Français et les invasions des Allemands.