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la place de ces pôles magnétiques ne paraît pas invariable. Elle change chaque année très notablement, car, pour utiliser l’aiguille de la boussole à marquer le Nord vrai, on a été obligé d’établir, pour chaque point du globe, un coefficient de correction, qui n’est pas constant et qui donne lieu à une table de variations d’une grande amplitude. On sait qu’en France la déclinaison de la boussole varie, en moyenne, de 9 minutes par an.

Pour ce qui est de la distance entre le pôle magnétique et le pôle géométrique de la Terre, dont on a été fort surpris la première fois que l’on a atteint les régions boréales, il n’y a pas beaucoup à s’en étonner. D’abord, le pôle de l’aimantation terrestre peut avoir son siège dans les couches profondes et être inhérent au noyau plutôt qu’à la croûte. Puis, il peut être la résultante d’actions ou de courans multiples que nous ne connaissons pas. Et enfin, même dans un barreau aimanté, ou dans un morceau d’aimant naturel, les deux pôles ne se trouvent pas aux deux extrémités. Ils en sont à quelque distance et à une distance qui correspond assez bien à celle qui sépare le pôle astronomique du pôle magnétique terrestre.

Au surplus, l’écart entre le pôle astronomique et le pôle magnétique peut tenir aussi à l’inclinaison de l’écliptique sur l’équateur, c’est-à-dire à ce fait que la Terre ne tourne pas sur elle-même dans le plan de son orbite. Pour employer une comparaison triviale, nous dirons qu’elle se meut sur le plan de son orbite comme une bille de billard animée d’un effet.

En a-t-il toujours été ainsi ? L’axe des pôles a-t-il, à une certaine époque, été perpendiculaire au plan de l’orbite ? On n’en sait rien et, vraisemblablement, on n’en saura jamais rien. Ce pendant la discordance entre les climats anciens, tels qu’ils nous sont révélés par les fossiles et les zones terrestres actuelles, peut faire admettre, dans une certaine mesure[1], que l’axe des

  1. Nous disons « dans une certaine mesure, » parce qu’il existe d’autres explications déjà suffisantes à elles seules pour justifier la différence entre les climats actuels et les climats que subissait la Terre à d’autres époques géologiques. Le fait de cette différence, en ce qui concerne les pôles, est incontestable en lui-même. On en a la preuve par la découverte, dans les régions aujourd’hui glacées de vestiges d’animaux fossiles, et par la présence, au Spitzberg, par exemple d’abondantes couches de houille qui ont été constituées par des forêts de fougères arborescentes.
    Les couches de houille, à ciel ouvert, observées par Greely et par Longwood, de 1881 à 1883, au Nord de la Terre de Grinnell et du Groenland, celles que découvrit l’expédition de Nares dans les mêmes régions, et celles qu’avait, bien auparavant, trouvées Parry sur les rivages de l’île Melville, indiquent l’existence ancienne, sous ces latitudes, d’une flore qui actuellement ne saurait y vivre.
    Indépendamment de l’explication résultant du refroidissement général de notre globe, hypothèse qui est aujourd’hui contestée, il y a lieu de constater que les climats étaient, à l’époque houillère, non pas seulement plus chauds, mais beaucoup plus uniformes qu’ils ne le sont aujourd’hui. On explique cette uniformité par la plus grande épaisseur et la plus grande humidité de l’atmosphère. Cette atmosphère, qui, à l’époque houillère, était trois fois plus épaisse qu’aujourd’hui, et contenait, outre une plus grande proportion d’eau, tout l’acide carbonique englouti depuis, avait un pouvoir de dispersion qui envoyait aux pôles presque autant de chaleur qu’à l’équateur.
    Une seconde explication consiste à supposer qu’à une époque où la vie animale et végétale avait déjà fait son apparition à la surface de la terre, et notamment durant la période houillère, le Soleil était encore à l’état nébuleux et possédait un diamètre beaucoup plus grand qu’aujourd’hui. Actuellement le diamètre apparent du Soleil est tel, par rapport à nous, que tous ses rayons arrivent à la Terre d’une façon sensiblement parallèle. Il en résulte pour nous différens phénomènes, notamment l’égalité des jours et des nuits à l’équateur, ainsi que l’existence des nuits de six mois et des jours de six mois aux pôles. Si le Soleil était assez grand pour que les rayons issus de ses bords et transmis à la Terre arrivent à celle-ci en formant un angle notable, les pôles n’auraient plus de nuit prolongée, et les différences de durée entre les jours polaires et les jours équatoriaux seraient très atténuées.
    Un Soleil nébuleux donnerait moins de chaleur, assurément, qu’un Soleil contracté et incandescent comme il l’est actuellement, mais cette différence pourrait être compensée et par son plus grand diamètre et par son plus grand voisinage. La quantité totale de chaleur reçue par la Terre dans une année pourrait être la même. Et, dans tous les cas, cette chaleur solaire reçue par la Terre serait répandue à sa surface d’une façon beaucoup plus uniforme que maintenant. En d’autres termes, les différences de climat entre les zones terrestres seraient diminuées.
    Une troisième explication, suffisante à elle seule, aussi bien que les précédentes, consiste à invoquer la variation de l’excentricité de l’orbite terrestre.
    On sait que la Terre décrit autour du Soleil, dans sa révolution annuelle, non pas un cercle, mais une ellipse, dont le Soleil occupe un des foyers. Le moment où la Terre est le plus près du Soleil s’appelle périhélie, le moment où elle en est le plus loin s’appelle aphélie. Le périhélie coïncide avec la saison qui est l’hiver pour l’hémisphère boréal et l’été pour l’hémisphère austral. L’inverse a lieu pour l’aphélie. Il en résulte que l’hémisphère Nord est plus tempéré que l’hémisphère Sud, la distance du Soleil tendant à corriger les saisons pour le premier, à les exagérer pour le second. L’une des conséquences est non seulement que l’hiver du Pôle Sud est plus froid que l’hiver du Pôle Nord, mais que, tout compte fait, le Pôle Sud est le plus froid des deux pôles. On peut le constater par le diamètre de la calotte de glaces qui le recouvre, ainsi que par la température des terres placées à des latitudes australes égales à celles qui, dans l’autre hémisphère, sont encore très habitables.
    Or, les astronomes ont découvert que l’excentricité (c’est-à-dire le rapport de la différence entre les deux axes de l’ellipse orbitale à la longueur du grand axe), rapport d’où dépendent le périhélie et l’aphélie, n’est nullement invariable. Elle est aujourd’hui de 1/60. Maison admet maintenant qu’au cours des âges elle peut devenir nulle, et qu’elle peut aussi s’élever jusqu’à 1/12 et même un peu au-delà.
    Dans cette dernière conjoncture, surtout si elle se produisait à un moment où la ligne des solstices coïnciderait avec le grand axe de l’orbite, il surviendrait certainement une grande modification dans les climats. La différence entre les climats s’atténuerait beaucoup pour l’un des hémisphères, elle s’exagérerait pour l’autre. L’un des pôles subirait un froid excessif qu’un été plus chaud compenserait difficilement, et l’autre pôle, probablement, dégèlerait presque entièrement. Il a pu en être ainsi dans le passé.
    Quant aux périodes où l’excentricité a pu être nulle, elles ont été caractérisées simplement par l’égalité de climat des deux pôles entre eux.