Entre tes doigts, malgré leurs vaines épouvantes,
Tu sentiras un jour d’autres ailes vivantes
Palpiter, et frémir, esclave de ta main,
La farouche tiédeur de quelque amour humain.
Virgile, coupe-moi pour de rustiques jeux
Le roseau mûr qui pleure en ce marais fangeux ;
Creuse la molle tige où mes lèvres hardies
Souffleront la fraîcheur de vierges mélodies ;
Communique à mes vers l’harmonieux frisson
Par quoi tous les accords vibrent à l’unisson,
Et, puisque l’indigence implore une tutelle,
Rends agréable aux Dieux cette flûte mortelle…
Tandis que les aïeuls, taillant, sarclant, bêchant,
Prennent un soin pieux de la vigne et du champ ;
Cependant que, dès l’heure où s’éveille la caille,
Ils préparent, dévots, l’éclisse où le lait caille,
Les fuseaux pour la laine et l’aire pour le grain ;
Qu’ils cultivent, exempts de tout songe chagrin,
Dans le clos où chacun au labeur s’évertue,
L’amère chicorée et la douce laitue,
L’enfant s’en va glaner par la plaine sans fin.
Elle a douze ans, des traits purs, un sourire fin ;
De la candeur sur son passage semble éclore,
Et son regard est clair comme un lever d’aurore.
Pour aider les aïeuls, qui peinent plus contens,
Fidèle à l’humble tâche, elle marche longtemps ;
Le front auréolé de grâce lumineuse,
Longtemps erre au hasard la petite glaneuse
Qui, sur la glèbe où gît le précieux butin,
Sème les visions de son rêve enfantin.
Et quand, la chevelure éparse, au crépuscule,
Elle rapporte enfin la gerbe minuscule
Qu’elle dépose avec un fier geste vainqueur,
Je ne sais quoi m’étreint et m’exalte le cœur ;
Car nul chef triomphal, nul conducteur d’armées,
Nul héros entraînant des légions charmées,