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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/435

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LA PIQURE


Parce qu’à la minute exacte où dérobant
Au rucher dont le cône émerge, près du banc,
Le miel blond que depuis si longtemps tu convoites,
Une abeille a jailli des cellules étroites
Et, trop prompte à punir tant de témérité,
Plongea dans ta chair tendre un venin irrité,
Enfant, tu troubles l’air de tes plaintes !… Ecoute.
Ta douleur éphémère est cuisante sans doute ;
Pourtant il est un cœur altier que ton dédain,
Comme l’aiguillon rude a fait saigner soudain ;
Il est un cœur blessé par ta grâce légère,
Dont nul ne sait le mal que l’amour exagère,
Car il pleure en silence et supporte la loi
Du destin sans gémir vainement comme toi.


PRESTIGE SACRÉ


Pour brouter les rejets tendres des arbrisseaux,
La chèvre vagabonde et souple, en quelques sauts,
Insensible au vertige et sans que son pied glisse,
D’une roche massive atteint la cime lisse.
Parvenue au sommet du rude escarpement,
Celle qui bondissait s’arrête brusquement,
Déjà hantée un peu par cet instinct sauvage
Qui la guide et la pousse à fuir tout esclavage.
Immobile sur l’âpre assise de granit,
Tandis que, rose encor, l’horizon se ternit,
Il semble à qui la voit dressant sa noble forme
Que, sculpturale, elle ait jailli du bloc énorme
Et que, pétrifié soudain, son corps nerveux
Réalise en sa pose un de tes plus chers vœux.
Enchante maintenant la bête fière et libre
Dont la vigueur avec l’audace s’équilibre,
Pâtre, qui sur tous les bergers gagnas le prix.
Que du tuyau grossier dans l’eau du fleuve pris
Un de ces airs naïfs que la bonté suggère
S’exhale harmonieux vers la chèvre légère,