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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/444

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avec un amant jeune et de sa classe. Elle est la maîtresse de Langouet, et c’est la fable de l’atelier. — Oh ! la belle scène, et, après les déliquescences sentimentales du père et du fils, quelle joie nous avons eue d’entendre, dans son emportement, le vrai langage d’une honnête femme. — Donc Breschard questionne Louise. Celle-ci aussi est une nature généreuse. Le patron est son bienfaiteur. Donc elle s’est donnée à lui, sans d’ailleurs accepter d’être mise dans ses meubles et de vivre à rien faire. Elle ne vivra que de son travail. Mais si elle peut donner à Breschard sa complaisance et même sa fidélité, elle ne peut lui donner son cœur. Et son cœur est tout à Langouet. Or Breschard est à l’âge où l’on tient, tout particulièrement, à être aimé pour soi-même… Cette déception intime va devenir le mobile principal auquel obéira le patron dans ses rapports avec ses ouvriers, au point que nous voyons aussitôt se changer du tout au tout la détermination qu’il avait prise au sujet, de la grève. En effet, et quoiqu’il lui répugnât de céder, le couteau sur la gorge, il s’y était résolu. A un moment où ses affaires sont embarrassées, c’était le seul moyen qu’il eût de faire face à une grosse commande et d’éviter la faillite. Il s’agit bien de faillite maintenant ! Il s’agit pour Breschard de ne pas plier devant celui qu’aime Louise Mairet. Et nous ne doutons plus de l’attitude intransigeante qu’il aura devant ses ouvriers quand ils viendront lui exposer le programme de leurs revendications.

Les voici en présence. D’un côté le patron, de l’autre côté les ouvriers conduits par le contremaître et flanqués d’un délégué du syndicat. La scène a été traitée par M. Bourget avec une remarquable sûreté de main. En quelques traits il a dessiné l’amusante silhouette du délégué, le camarade Thubeuf, le révolutionnaire gouailleur, à la blague et à la coule, qui se fait de la gréviculture une situation et qui, au prix de la ruine et de la misère d’autrui, s’assure une existence de rentier et de jouisseur. Ce Thubeuf, insolent et prétentieux, avec son pédantisme de demi-illettré, a été la joie de la soirée. D’une façon singulièrement expressive, M. Bourget nous a fait saisir ce qu’il y a de tyrannique dans cette organisation syndicale qui ne laisse à l’individu aucun droit, pas même celui de travailler pour vivre, qui brise les volontés, fait trembler chacun devant tous les autres et les courbe sous la peur d’une décision collective, anonyme, irresponsable. Cette traduction scénique d’une idée abstraite est d’excellent théâtre. Donc la grève est déclarée. Breschard court à la ruine… lorsque se présente, pour le sauver, le vieil ouvrier, Gaucheron, type de fidélité et d’énergie. Il improvisera un atelier, dans les locaux d’un couvent d’où les