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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/443

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Cette conversation surprenante a encore pour effet de nous renseigner sur le compte de ce jeune Breschard. C’est, lui aussi, une nature généreuse, oh ! combien ! Toutes les idées fausses, absurdes. saugrenues qui lui apparaîtront auréolées d’un nimbe de générosité, il s’empressera de s’en faire une religion. Fils de patron, il ne manquera pas de réserver toute sa sympathie pour les ouvriers. Bourgeois, il sera socialiste. Il ne doute pas que la bonté ne réside au fond des cœurs, de tous les cœurs, et que l’humanité ne soit en marche vers l’idylle universelle.

Ainsi peu à peu se dessinent les personnages, et leurs caractères apparaissent en leur complexité. Aucun d’eux n’est un bonhomme de convention, posé une fois pour toutes en des attitudes figées. Mélange de bon et de mauvais, pris à un instant décisif de leur vie, ils évolueront sous la double poussée de leurs passions et des événemens. Car nous ne nous étions pas trompés dans nos prévisions. Cette Louise Mairet qui est la maîtresse du patron, elle est aimée de Langouet. Dans l’hostilité qui pousse celui-ci à faire déclarer la grève parmi les ouvriers, il n’y a pas seulement une hostilité de classe, il y a une rivalité d’homme à homme. C’est le jaloux qui, tout à l’heure, bravera son rival, quand Langouet menacera Breschard d’une grève de tout l’atelier, pour le cas où Breschard donnerait suite à cette affaire de sabotage qu’il vient de découvrir. Non, non, il vaut mieux ne pas sévir, et fermer l’œil, et laisser le brave Gaucheron réparer chez lui, en dehors de l’atelier, le meuble dont chaque tiroir enferme maintenant une inscription injurieuse et belliqueuse… Tel est cet acte qui est un modèle d’exposition claire, minutieuse, complète. Lorsque la toile baisse, nous avons lié intime connaissance avec tous les acteurs du drame qui s’annonce et dont nous sentons bien qu’il ne peut plus faire autrement que d’éclater.

Le second acte est tout plein de choses, d’une trame serrée, où nous voyons alterner sans cesse l’intrigue domestique et la lutte sociale comme deux fils passant tour à tour sur le métier. Ce qui en détermine le mouvement, c’est l’intervention de la fille de Breschard. Celle-ci vient d’apprendre le beau projet matrimonial de son père, et avec le courage dont les femmes sont beaucoup plus capables que nous, quand il s’agit de défendre la dignité de l’intérieur et la propreté morale, elle fait honte à son père. Ne doutez pas que le grand nigaud de fils n’essaie d’imposer silence à cette gêneuse. . Mais celle-ci est lancée. Elle ira jusqu’au bout. Une réparation à Louise Mairet ! Allons donc ; La fille du peuple trompe, et berne, et bafoue le barbon amoureux