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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/452

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et les cloches de l’église, les soleils et les souffles d’automne, le puits, et surtout le moulin, le vieux moulin en ruines, que le vieux meunier, le parrain de Jacques, habite, toutes ces choses familières ont gardé leur visage, leur âme, et leur influence d’autrefois. Les ailes du moulin ne tournent plus, mais le cœur du moulin bat encore et par la voix du brave meunier on dirait qu’il parle ou qu’il chante. Le vieillard a surpris le secret de Jacques et de Marie, leur faiblesse à l’heure du revoir et leur dessein, formé tout bas, de fuir ensemble. Il déjouera leur coupable projet. Au moment du rendez-vous, il éloigne Marie. Et pour changer la résolution de Jacques, pour le décider au sacrifice, il n’est pas de sages propos qu’il ne lui tienne, pas de nobles, d’héroïques avis qu’il ne lui donne, pas de souvenirs pieux et purs qu’il ne réveille en lui. La mère du pauvre amoureux, survenant à son tour, joint ses instances à celles du vieillard. Et voici que d’autres voix se font entendre, plus mystérieuses, bonnes conseillères aussi : voix du pays, voix du passé, voix de l’enfance et de la jeunesse. Elles sortent du puits, elles montent de la vallée, et flottent sur les chemins. A la fenêtre entr’ouverte du moulin, dans ses murailles mêmes et sous son manteau de lierre, paraissent en chantant des figures de rêve, des visions d’autrefois. Après le cœur du moulin, c’en est le chœur, dont l’excellent meunier fut le chorège. Tant d’honnêtes leçons, que donnent à Jacques les êtres et les choses, ne sauraient être vaines. Jacques s’en ira sans revoir Marie, et s’en ira pour toujours.

Vous trouvez que cette histoire, innocente autant que sommaire, a l’air d’être tirée de la morale en action, ou mieux, le mouvement et surtout « l’intrigue » y faisant défaut, de la morale sans action. Nous en conviendrons volontiers, mais pour en conclure tout de suite qu’il n’est pas d’un compositeur vulgaire d’avoir su trouver ici le moyen de nous intéresser et de nous émouvoir. Oh ! de nous décevoir aussi, de nous dérouter, de nous rebuter même, et nous allons nous en expliquer d’abord. Pourtant, et nous le montrerons ensuite, il y a quelque chose là, quelque chose de précieux, de rare, et ce n’est rien moins que le sentiment, ou l’âme, d’un véritable musicien.

Il écrit, ce musicien, une langue hachée menu. Son style est fait, non pas de phrases, mais de mots, non pas de lignes, mais de points. Le chant, de l’orchestre ou des voix, se réduit trop souvent à des intonations, à des appels, à des velléités mélodiques. La symphonie, elle non plus, ne se développe nulle part. Nous sommes en présence ici d’un art parcellaire, atomistique, ayant comme règle fondamentale l’abréviation et le raccourci, la réticence, la restriction ou la paralysie