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de soi-même. « Comme règle, » avons-nous écrit, mais craignons, en l’écrivant, d’être dupe et de prendre pour une sobriété voulue une involontaire indigence. Il arrive si souvent aujourd’hui que nos jeunes gens nous en font accroire, ou du moins qu’ils y tâchent, et qu’une faculté leur manquant, ils prétendent mettre un principe, quand ce n’est pas un système, à la place. La discrétion, l’économie a du bon. Vive le proverbe antique, qui conseille de ne pas semer à plein sac, mais d’une main légère. Encore faut-il que cette main s’ouvre quelquefois toute grande. Or, dans la musique de M. de Séverac, on ne voit pas assez « le geste auguste, » — et qui doit être large. — du semeur. L’effusion lyrique en est à peu près absente. Les indications, les esquisses, les courtes formules y fourmillent. Rien n’y est rare comme la forme large, libre, généreuse, et qui se déploie.

Cet art étroit est de plus un art contraint, où beaucoup d’embarras se remarque. Pour n’être point surchargé, ce n’en est pas moins un art difficile, et dont la difficulté ne tient pas tant au nombre des élémens qu’à la manière de les choisir et de les disposer. Ce qu’il y a de moins simple, de plus contraire au naturel, est assurément ce qui plaît le mieux à M. de Séverac. Il a le goût du rare, l’amour du raffiné, la passion de la subtilité et de la quintessence. Cela est sensible en toutes les parties et jusque dans le détail de son style, dans la déclamation, dans la façon de noter la parole et de la commenter. La phrase qui pourrait, qui devrait être la plus droite et la plus unie, le musicien la contourne, la tortille, ou la brise. Que de fois il semble ne chercher pour elle dans l’orchestre qu’une gêne, au lieu d’un secours ou d’une parure. Plutôt que de l’envelopper, il la hérisse de modulations, de rythmes, d’accords, qui nous la font en quelque sorte inaccessible. La musique alors, pénible à l’audition, devient, pour nous au moins, d’une lecture impraticable. Quand on a des œuvres de ce genre sous les yeux et les doigts, ni les uns ni les autres ne savent où se poser.

Cet art enfin, sans liberté, sans abondance, est un art qui se dérobe et fuit. Il ressemble au kaléidoscope des enfans, où de menus éclats de verre font et défont sans trêve des figures sans consistance et sans durée. Tonalité, rythme, harmonie, rien ne persiste, rien ne s’arrête, rien ne se montre un instant que pour se dérober aussitôt Ainsi la petitesse et l’étroitesse des formes sonores n’a d’égale que leur instabilité. Parlerons-nous de l’orchestration ? Nous dirions qu’elle est inégale, ici maladroite, ailleurs un peu grêle, un peu mièvre aussi, avec imitation ou réminiscence de certains effets debussystes et déjà démodés, comme l’abus du glissando de harpes ou du célesta. Au