Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/455

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lecture aisée) et voyez, écoutez, sur les notes finales que souligne un léger accent imitatif de l’orchestre, comme la voix monte et va se perdre au dehors, au loin, dans le mystère azuré de la nuit. Le plus simple appel de Marie, et que le meunier répète : « Jacques !… Ami ! » donne aussi, rien que par l’intonation, par la tonalité, par le juste rapport de la voix avec une courte mais expressive indication symphonique, la sensation de l’espace nocturne.

Si maintenant de l’ordre pittoresque nous passons à l’ordre sentimental, nous y trouverons, dans le détail toujours, plus d’un trait, plus d’une touche un peu trop rapide, mais juste et profonde. La première scène, le récit que fait Marie à l’une de ses compagnes, de son ancien amour, puis du rêve, qui lui présagea, l’autre nuit, le retour de Jacques ; au second acte surtout, le dialogue du meunier d’abord avec Marie, puis avec Jacques et la mère de Jacques, tout cela, qui manque assurément de suite et d’unité, de longue haleine et de soutien, se colore au moins de lueurs passagères, s’anime d’une vie inégale, intermittente, mais qui, néanmoins, est la vie.

Enfin, dans cette œuvre où presque rien ne dure, il n’est, heureusement, pas impossible de signaler parfois une halte, un repos, l’effusion d’un lyrisme discret, mais touchant. Là surtout va notre sympathie, se porte et s’attache notre espoir. La dernière page du premier acte, l’aparté rêveur du vieux meunier, après qu’il a surpris le secret d’amour, est d’un sentiment très pur, d’un style non seulement distingué, mais naturel et libre, où l’idée fait mieux que s’esquisser, et, lasse de se contraindre, un moment s’abandonne. Libre aussi, presque développé, l’entr’acte forme une sorte de lied pour orchestre, d’un caractère original, intime et pénétrant. Lieder encore, ou du moins ébauches, soupçons de lieder, à la fin, les appels, rappels et conseils que font entendre à Jacques les voix de son pays et de son enfance. Le bonhomme Noël, la fée des rondes, le vieux mendiant et la fée du blé apparaissent et chantent tour à tour. Chacun de leurs chants a son caractère, le dernier surtout, qui noue et dénoue des vocalises lentes et, par leur lenteur même, expressives. Puis les quatre voix s’unissent. Leur concert ne tarde pas à se gâter : il tourne très vite à l’aigre, et c’est dommage, car il avait commencé par être d’une harmonieuse douceur.

Mais s’il fallait, de toute la partition, retenir une seule page, nous saurions bien laquelle choisir. Nous prendrions, au premier acte, dans la scène du revoir, après l’aveu, sombre et lourd, de Marie, un lamento, non moins pathétique, de Jacques par la douleur