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pour son propre compte, d’admettre la divinité de Jésus ne l’avait obligé à abandonner, une fois de plus, la voie où l’élan passionné de son cœur l’avait précipité.


A Manchester, à Londres, dans la petite ville provinciale de Weston-super-Mare, le frère du cardinal Newmann a vécu, depuis lors, une longue vie de pauvreté et de dur travail, sans autre pensée que de contribuer par tous les moyens à diminuer un peu la part de souffrance qui était dans le monde. « Je m’intéresse toujours encore très vivement à tout ce qui concerne le bonheur des hommes, en Angleterre, en Irlande, et dans tous les pays, — écrivait-il, déjà presque nonagénaire, le 17 avril 1889, — et j’ai l’espoir de ne point changer sous ce rapport jusqu’à mon dernier jour. Plus que jamais, je me rends compte que notre meilleure manière de servir Dieu consiste : à servir toutes les créatures de Dieu, sans en exclure les bêtes elles-mêmes. » Et, en effet, peu d’hommes assurément ont mis autant d’ardeur généreuse à « servir toujours toutes les créatures de Dieu. » Tout l’argent qu’il gagnait allait aux pauvres de son voisinage, ou aux opprimés du dehors. Sans cesse nous le voyons, dans ses lettres, offrant de « donner un peu de son superflu » pour « aider l’effort patriotique » d’un peuple qui rêve de reconquérir son indépendance, ou pour subvenir à l’entretien des victimes d’une famine on d’un autre fléau. Dans chacun des humbles logemens qu’il a habités, une ou deux chambres étaient destinées à recevoir gratuitement des malades indigens : ou bien encore il recueillait chez lui des hommes qui prétendaient vouloir se délivrer de la passion de l’eau-de-vie, et qui, en le quittant après quelques semaines, laissaient dans ses armoires un bataillon de bouteilles fraîchement vidées. On pourra lire, dans le livre de M. Sieveking, l’histoire vraiment admirable d’une blanchisseuse dont Newman et sa femme ont suivi solennellement les obsèques, en y invitant même d’autres de leurs amis, afin de satisfaire l’un des derniers désirs de la pauvre femme.

Mais je n’en finirais pas à vouloir citer des exemples de cette bonté familière, et comme inconsciente, dont le vrai caractère et la vraie grandeur échappent absolument, du reste, à toute définition, étant faits d’un mélange singulier d’impérieux amour d’autrui et d’un oubli complet de soi-même. Ces deux vertus avaient si profondément imprégné l’âme de Francis Newman que leur expression, sous sa plume, nous apparaît aujourd’hui toute naturelle, sans que nous éprouvions l’ombre de gêne à entendre, à chaque instant, des professions de foi « altruistes » qui, venant d’une autre source, s’exposeraient