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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/473

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sous la tyrannie autrichienne ou nègres d’Amérique vendus au marché : mais, tout en se dépouillant de son « superflu » pour venir en aide à ces étrangers, nous devinons que son cœur va surtout aux victimes de l’Angleterre, ou plutôt à l’Angleterre elle-même, sa patrie, aimée par lui d’une tendresse et d’une vénération filiales qui rêveraient de la voir se dresser triomphalement au-dessus du reste des peuples, pour leur offrir un exemple suprême de noble droiture et de perfection. En politique intérieure, aussi, la « convulsion nationale » qu’il attend et espère sera tenue de procurer aux Anglais une patrie qu’ils puissent aimer et montrer orgueilleusement pour modèle aux autres nations : aucun doute n’est possible sur l’inspiration éminemment patriotique des très beaux et vibrans chapitres des Mélanges où l’auteur essaie de faire sentir à ses concitoyens la nécessité d’une révolution mettant fin à ce qu’il appelle les quatre « barbarismes » de l’état social contemporain, — la guerre, la dégradation de l’homme par un régime pénal suranné, le libre commerce des boissons alcooliques, et la cruauté à l’égard des bêtes. C’est surtout à convertir l’Angleterre, — comme il avait travaillé jadis à convertir l’Orient, — que s’est employé, durant plus d’un demi-siècle, l’aident et infatigable effort de Francis Newman[1].

Et si l’idéal nouveau prêché désormais à ses compatriotes par cet homme qu’a toujours possédé et dévoré une fiévreuse passion d’apostolat, s’il ne revêt plus expressément, à présent, le titre de christianisme, c’est chose bien évidente pointant que l’esprit dont il est animé demeure tout chrétien. Un prêtre anglais qui a beaucoup connu les deux Newman, et qui, l’un des premiers, a cru pouvoir les réunir dans une vénération commune, disait de Francis, au lendemain de sa mort : « Tous ceux d’entre nous qui ont eu le bonheur d’être admis dans son intimité n’ont pu manquer d’être profondément frappés de sa dévotion. Il vivait, littéralement, comme en présence de Dieu ; et les prières qu’il nous faisait entendre dans sa maison, toujours pleines de simplicité et de révérence, étaient pour nous d’un réconfort et d’une édification incomparables. » Mais plus vrai encore, comme aussi plus

  1. Détail curieux, mais qui n’a, d’ailleurs, rien d’exceptionnel : les deux Newman, patriotes ardens et tous deux infiniment « représentatifs » du génie anglais, n’appartenaient à l’Angleterre que par l’éducation, avec une origine presque absolument étrangère. Leur père, dont le nom véritable était Neumann, descendait d’une famille hollandaise, — ou même, a-t-on assuré, d’une famille juive, émigrée de Hollande vers la fin du XVIe siècle ; — leur mère, Jémima Fourdrinier, de vieille race normande, n’avait, pour ainsi dire, dans ses veines que du sang français.