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touchant, était le jugement porté sur lui par cette première femme dont j’ai dit déjà le tendre, fidèle, et indulgent amour. Mme Newman, qui cependant avait conservé jusqu’au bout la ferveur ingénue de sa piété anglicane, n’admettait point que l’on reprochât à son mari son incrédulité en matière de dogme. « Comment ne comprend-on pas, — s’écriait-elle, — qu’il se trouve, à ce point de vue, comme plongé dans un nuage, ou aveuglé par un brouillard ? » Et, en effet, lorsque l’auteur des Phases de la Foi affirmait, comme on l’a vu, qu’il avait toujours été un « chrétien conscient, » il se trompait seulement sur ce dernier adjectif : car la vérité est que peu d’hommes ont réalisé aussi pleinement le type parfait du chrétien « inconscient, » empêché par un « brouillard » ou un « nuage » de découvrir la source véritable où il puisait les principes de sa vie morale. Cette « sainteté » qui rayonnait de toute sa personne, cet oubli continu de soi-même et ce zèle sans pareil a « servir les créatures de Dieu, » tout cela n’avait son point de départ et sa justification que dans la même impression d’une « présence divine » qui, se traduisant sous une autre forme, nous a valu les immortels écrits et sermons du cardinal Newman.


Et peut-être même le « nuage » qui avait trop longtemps aveuglé le plus jeune des deux frères a-t-il fini, un jour, par se dissiper ? Dans une de ses dernières lettres, écrites presque à la veille de sa mort. Francis Newman se félicitait d’avoir désormais trouvé une nouvelle et complète définition du chrétien : « celui qui, dans le fond de son cœur et de toutes ses forces, se constitue le disciple de Jésus, en regardant la prière appelée l’oraison dominicale comme l’expression la [dus haute de tout sentiment religieux. » Peut-être la méditation assidue de cette prière l’aura-t-elle enfin éclairé sur l’origine surnaturelle de l’inextinguible foyer d’amour qui brûlait en lui ? Mais, en tout cas, personne ne pourra assister, dans l’ouvrage de M. Sieveking, au spectacle émouvant de sa longue vie sans partager l’espérance d’une autre de ses amies les plus tendrement dévouées, Anna Swanwick, qui écrivait à son sujet : « C’est pour moi un plaisir merveilleux de penser combien, un jour, quand la mort aura fait tomber le voile de ses yeux, il se mettra à aimer et à vénérer Celui dont, à son insu, il a toujours suivi la trace ici-bas ! »


T. DE WYZEWA.