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que les sociétés de secours mutuels recevront fatalement, du fait de la loi nouvelle, une atteinte très rude, et peut-être mortelle.

Un des phénomènes économiques et moraux les plus honorables de ces dernières années avait été le développement de la mutualité libre. C’est de ce côté que l’État aurait dû se tourner et porter son effort. Nous ne pensons pas, en effet, qu’il devait se désintéresser de la constitution des retraites ouvrières ; mais il lui aurait suffi d’apporter son concours aux sociétés de secours mutuels pour leur donner un élan et des développemens nouveaux et leur permettre de remplir toute la tâche qu’elles avaient si bien entamée. Malheureusement, l’État chez nous, — et aussi ailleurs. — veut tout faire lui-même, au détriment des initiatives privées qu’il décourage, étouffe et absorbe. Les sociétés de secours mutuels se défendent de leur mieux. Elles ont, au Sénat, des champions courageux, par exemple M. Lourdes, dont on ne saurait trop louer l’énergie attentive et persévérante. Mais, pour honorable qu’elle soit, la défense des sociétés de secours mutuels est inefficace dans les conditions où elle se produit : que peut le pot de terre à côté du pot de fer ? On lutte aujourd’hui pour obtenir, au profit des sociétés mutuelles, des syndicats professionnels et d’autres organismes encore qui y seraient autorisés, le droit de percevoir les versemens de leurs membres en vue de la retraite ; les versemens seraient obligatoires, mais l’assujetti, — c’est le nom qu’on lui donne très justement, — resterait libre de les opérer entre les mains qu’il choisirait. Le gouvernement, au début, n’était pas de cet avis. Son système était simple : le patron, à chaque paiement qu’il ferait à l’ouvrier, prélèverait la somme afférente à la retraite et la remettrait à l’État. C’est ce qu’on a appelé le précompte. Il serait difficile, étant donné le caractère soupçonneux de l’ouvrier dans ses rapports avec son patron, de rien imaginer de plus propre à augmenter chez lui ces dispositions malveillantes ; rien non plus qui lui montrât d’une manière plus nette le prélèvement pour la retraite sous la forme d’une diminution de salaire ; rien dès lors qui fût mieux imaginé pour provoquer des mécontentemens et des grèves. On s’ingénie à trouver une solution qui laisse à l’ouvrier, quoi ? bien peu de chose, quelque liberté dans la-manière de payer. La Commission y travaille, M. Ribot aussi. On rédige des amendemens qui, en somme, se ressemblent et sur un desquels on finira par se mettre d’accord. L’ouvrier verra s’allonger un peu, bien peu, la chaîne qui le lie, et une satisfaction sera donnée aux sociétés de secours mutuels ; mais ce sera une satisfaction toute morale, puisque ces sociétés ne joueront ici qu’un rôle d’intermédiaire,