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que l’Empereur, dans son intérieur, s’exprime sans façon sur les rois faits de sa main. Avec sa jovialité puissante, avec sa verve taquine, Napoléon plaisante d’eux volontiers ; avec sa manie de donner des surnoms, il n’appelle plus Murat roi de Naples que le lazzarone, le roi des lazzaroni ; plus tard, il l’appellera Orlando, Orlando furioso, par comparaison avec un paladin de roman. Et Murat très sensible, très susceptible, se juge méconnu par celui qu’il a tant servi. Dans ses lettres à l’Empereur, il soupire et se lamente, prend le ton de l’amitié déçue ou plutôt de l’amour malheureux. Par momens, on le dirait prêt à faire un coup de tête et à briser lui-même sa couronne. L’opposition des caractères aggravait ainsi les différends nés de la force des choses. Pour ménager les rapports entre l’écrasant empire et la fragile royauté napolitaine, il eût fallu un tact infini, une souplesse, une dextérité peu communes. À ce rôle, qui eût réussi ? Une femme peut-être, si on l’eût laissée faire : une sœur de Napoléon, la femme de Murat.

Des trois sœurs de l’Empereur, Caroline était certainement la préférée ; elle gardait une grande place dans les affections de son frère et tenait auprès de lui un rôle, à tout le moins un emploi. Très intelligente, à la fois passionnée et calculatrice, aimant le plaisir et le pouvoir, elle réussissait auprès de l’Empereur par une façon qu’elle avait de se rendre agréable et utile.

D’abord, elle faisait bien à la cour, sa beauté charmante survivant à sa première jeunesse ; elle s’habillait avec goût, à la différence de sa sœur Pauline, — Paulette, — qui conservait dans sa mise quelque chose d’exotique, de trop exubérant, et qui, parfois, en fait de toilettes, se signalait par des trouvailles déplorables[1]. Au contraire, Caroline accommodait parfaitement la mode à son visage et à sa tournure, portait à ravir la robe à taille remontée, à long fourreau et à ample traîne, la coiffure à la grecque, les bijoux, les diamans, les royales parures. Puis la vivacité de son esprit, ses manières câlines et sa grâce attrayante animaient les plus froides solennités. Dans une cour où Joséphine vieillie s’attristait, Caroline créait du mouvement et de la

  1. La reine Caroline, remerciant un jour Murat d’un envoi de modes fait de Paris, ajoutait, en ce qui concernait des fleurs choisies par Pauline : « Pour les fleurs, elles étaient affreuses ; je ne conçois pas comment la princesse Pauline peut choisir d’aussi vilaines choses. » 19 mai 1811. Archives Murat.