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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/512

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d’autrefois, à l’époque consulaire. Ils lui font revivre son passé, revivre son bonheur, et chacun d’eux lui est occasion d’un rappel ému. Va-t-elle à Morfontaine, où jadis le mariage s’est conclu : « C’est ici où nous nous sommes unis, c’est ici où j’ai commencé à avoir pour toi tous les sentimens que je te conserve encore, plus ceux qu’y ajoutent l’estime, l’habitude et une bonne amitié. » A Neuilly, chez Paulette, dans l’admirable parc, devant les verdures magnifiques que dore la splendeur d’un beau jour, elle songe aux promenades faites autrefois ensemble, revoit les enfans tout petits jouant dans la grande avenue qui conduit à Villiers ; elle souffre de se sentir éloignée d’eux, éprouve la douceur et la mélancolie des souvenirs : « Je ne puis te dire combien j’ai été triste en revoyant des lieux qui m’ont rappelé douloureusement mes enfans et toi à nos promenades. C’est un bien beau lieu et il faisait un temps superbe… Crois à ma tendresse sans bornes… »

Au ton de ses lettres, il est facile d’ailleurs de s’apercevoir que Murat la paie de retour, dans les siennes, et ne lui ménage pas les expressions de sollicitude et d’affection : « Tu es si bon pour moi depuis quelque temps, dit-elle, — que je ne puis t’exprimer combien j’y suis sensible… Ta lettre est si bonne pour moi et si remplie de tendresse que je ne doute plus que je ne sois avec toi la plus heureuse des femmes, comme je te suis la plus attachée. Du reste, mon ami, sois toujours comme tu es à présent pour moi, et je me croirai la femme du monde la plus heureuse. »

Peu à peu, la tentation lui vient d’éprouver son crédit sur l’époux reconquis. Avec tact et précautions, elle se remet à risquer des demandes, des conseils, des avis, et hasarde parfois des remontrances. Sa nature insinuante, adroitement dominatrice, reprend le dessus. Il faut reconnaître que ses observations se marquent de bon sens. Déjà, elle a prié Murat de ne pas réduire en monnaie courante l’ordre des Deux-Siciles, récemment institué, et de ne point l’avilir en le prodiguant : « Je t’avertis que l’on trouve mauvais dans Paris que tu donnes ton ordre à tout le monde et que beaucoup de personnes en font des plaisanteries… La princesse Pauline m’a dit que tu en avais promis à toute sa maison et qu’elle les attendait. On ne voit plus que cela dans Paris et ton ordre court les rues. » De même, avec une réelle élévation de pensée, elle improuve la manie prise à