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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/515

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devenue dans l’embrasement général, dans la foule affolée de terreur, et le lendemain, encore sous le coup de l’effroyable événement, elle écrit à son mari :

« Ne sois pas effrayé si tu apprends par les journaux le désastre qui est arrivé hier à la fête de l’ambassadeur d’Autriche. L’Empereur et l’Impératrice n’ont rien eu, et moi j’ai été entraînée hors de l’incendie par le grand-duc de Wurtzbourg qui m’a sauvée, car sans lui je n’aurais pas cru le danger aussi grand et je ne sais ce qui en serait résulté. Le feu a pris par une bougie qui a coulé sans qu’on s’en aperçût, et la chaleur était si forte que toutes les glaces ont éclaté. Au premier indice de l’incendie, l’Empereur a entraîné l’Impératrice qu’il a fait monter en voiture ainsi que moi, mais il nous a quittées à la barrière [de Saint-Cloud], et il est retourné chez l’ambassadeur pour faire chercher les personnes qu’on craignait qui n’eussent péri. La malheureuse belle-sœur de l’ambassadeur d’Autriche a été la victime de son amour pour un de ses enfans qu’elle croyait en danger ; elle s’est précipitée au milieu des flammes, le plafond a croulé sur elle, et ce n’est que ce matin qu’on a découvert sous les décombres un tronçon informe qu’on reconnut pour être elle à ses diamans. L’ambassadeur a montré un sang-froid admirable ; quoique inquiet pour sa famille, il n’a pas quitté l’Empereur d’un seul instant et le suivant pas à pas. On ignore le nombre des victimes, on espère que le nombre se réduit à une seule, mais le prince Kourakine[1]est blessé ainsi que la princesse de Leyen. Je suis encore toute saisie de ce terrible événement, je le l’écris sans ordre (c’est-à-dire d’une manière désordonnée), car j’ignore encore tous les détails… »

Cette lettre est datée de Saint-Cloud où la Reine restait en séjour auprès de Leurs Majestés Impériales, qui ne venaient à Paris que pour les fêtes. Aussi bien, dans l’intervalle même des fêtes, dans les momens de répit, dans les calmes résidences de Saint-Cloud et de Rambouillet, en milieu plus restreint, Napoléon sentait le besoin de garder sa sœur auprès de lui et d’utiliser sa présence. Il la met en tiers dans les longues promenades en voiture qu’il fait avec Marie-Louise à travers les royales forêts, par ces jours de splendide lumière ; l’enjouement de la Reine, sa jolie façon de faire des frais animent l’entretien un

  1. Ambassadeur de Russie.