Mais les Libéraux ont un atout également dans une dernière question : la question de la terre. J’ai parlé de cette chanson que j’ai entendu chanter dans les meetings radicaux et dont le refrain est : « C’est la terre, la terre, la terre qu’il nous faut. » Le paysan anglais veut la terre, ou plutôt l’ouvrier agricole, car il n’y a pas en Angleterre, à proprement parler, de paysans comme en France. D’après une statistique anglaise, quatre-vingt-quatre pour cent du sol cultivé appartiendrait à 38 000 propriétaires, et de ces quatre-vingt-quatre pour cent, le sixième serait détenu par quatre cents familles, tous des Lords. Aussi un journal conservateur, le Evening Standard, déplore-t-il, dans un article très bien fait, qu’il n’y ait en Angleterre que 30 000 paysans propriétaires et il compare ce chiffre avec regret au million de propriétaires Allemands, aux cinq millions de propriétaires Français. Les conservateurs à esprit un peu large, avec lesquels j’ai causé, conviennent qu’il y a certains abus de la propriété foncière, abus de parcs, de pleasure grounds, de terrains consacrés à la chasse. La transformation en prairies de terres qui étaient autrefois en blé a diminué la main-d’œuvre agricole et augmenté la misère, qui est grande dans les campagnes. Enfin, la loi minière anglaise ne distingue pas, comme la nôtre, la propriété du fonds de celle du tréfonds. C’est le propriétaire de la surface qui est propriétaire du tréfonds. Il peut à son gré l’exploiter ou ne pas l’exploiter, et si la plupart le font pour augmenter leurs revenus, car la terre rapporte peu, cependant il peut dépendre d’un grand seigneur opulent ou entêté, qui ne voudrait pas diminuer son immense parc, de laisser improductives des richesses considérables.
Toutes ces questions préoccupent les conservateurs avisés. C’est ainsi que, dans une lettre, publiée évidemment à dessein, M. Balfour a indiqué un plan assez compliqué, et que je n’ai pas très bien compris, mais qui ne s’appliquait qu’à l’Ecosse. Il s’agissait de décongestionner les régions trop peuplées, du moins par rapport à la population qu’elles pouvaient nourrir, et de peupler d’autres régions désertes. Il s’agissait aussi de faciliter par un système de prêts l’achat de la terre, comme en Irlande. Cette question de la terre n’a pas été traitée dans les meetings urbains auxquels j’ai assisté, mais je ne serais pas étonné qu’elle jouât son rôle dans les élections rurales, et certainement il y a, comme on dit vulgairement, quelque chose à faire.