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je n’ai rien contemplé d’aussi triste que cet amas de déchets humains. Sachant que c’est un sentiment profondément religieux qui rassemble les soldats de l’Armée du Salut et entretient leur zèle, je m’étonne qu’on ne profite pas de cette occasion pour adresser à ces hôtes de passage quelques chrétiennes paroles. Mais on me dit, et je le crois, que ces malheureux sont tellement fatigués de leur journée passée à rôder qu’ils s’endormiraient dès les premières paroles. C’est charité de les laisser le plus tôt possible se livrer au sommeil, endormeur des tristesses et des maux.

A minuit, nous nous en allons. Sur la place de Westminster, entre la magnifique abbaye, abri de tant de gloires anglaises et le non moins magnifique Parlement, théâtre de tant de brillans tournois oratoires, rideau trompeur cachant le spectacle de misère que je viens de voir, je me sépare de mon guide en le remerciant et je serre avec respect la main de cet apôtre d’un christianisme, un peu vague sans doute, mais qui consacre son existence au soulagement de tant de souffrances. A minuit et demi, je suis rentré dans mon confortable hôtel où je goûte, non sans quelque vague malaise de conscience, le plaisir de trouver un souper qui m’attend dans une chambre bien chaude. Mais j’ai conservé de cette soirée une impression douloureuse. La question des unemployed s’est montrée à moi sous son aspect le plus triste. A Londres, la vie est intense, mais la souffrance est intense aussi et le contraste entre l’extrême opulence et l’extrême misère y est poussé vraiment trop loin. Si j’envie beaucoup de choses à l’Angleterre, je ne saurais lui envier son étal social. A tout prendre, j’aime mieux le nôtre.


Vendredi 14 janvier.

Ayant assisté, il y a quelques jours à Brixton, à un meeting unioniste, j’aurais aimé à assister à un meeting libéral, voire à un meeting radical ou socialiste. J’aurais souhaité surtout entendre M. John Burns, le président socialiste du Local government board. Dans la circonscription de Battersea où il est fort combattu, il tient, me dit-on, cinq ou six meetings par jour, dont quelques-uns en plein air. C’est à un de ces meetings que j’aurais surtout aimé à assister. Mais au siège de la Liberal Federation on n’a pu ou voulu me donner aucun renseignement précis. Force m’est donc de renoncer à mon dessein. Je le regrette d’autant plus que M. John Burns est un peu le Millerand du Cabinet libéral.