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nous remettre devant les yeux les choses que nous avons dans la mémoire, et qu’il faut faire rentrer dans le cœur, puisqu’il est sans doute que ton discours en peut mieux servir d’instrument à la grâce que non pas l’idée qui nous en reste en la mémoire, puisque la grâce est particulièrement accordée à la prière, et que cette charité que tu as eue pour nous est une prière du nombre de celles qu’on ne doit jamais interrompre… » Combien, il y a plus de spontanéité et de naturel dans les lettres, qu’écrit Jacqueline à la même époque ! Celle-ci, songeant sans doute à son père, demande un jour à Mme Perier de prier pour elle, « afin, dit-elle, qu’il plaise à Dieu d’envoyer sa lumière dans les cœurs plutôt, que dans les esprits. » Ce vœu aurait pu s’appliquer à Blaise aussi bien qu’à Etienne Pascal. La rigoureuse métaphysique janséniste l’a séduit ; sa pensée se meut à l’aise, dans ce système clos, mais sa pensée seule, et, à tout propos, elle éprouve le besoin d’en ressasser les principes. En vain la vie fait-elle effort pour échapper à ces cadres fixes ; il essaiera de les lui imposer de force jusqu’à ce qu’elle les fasse définitivement éclater.

Veut-on toucher en quoique sorte du doigt cet intellectualisme foncier et persistant de Pascal, et cette ardeur de passion théologique qu’il porte avec lui partout ? Qu’on relise la Lettre célèbre sur la mort de M. Pascal le père. Certes, Pascal, aimait tendrement ce père, qui avait été pour lui le plus admirable des maîtres et le plus sûr des amis, et qu’il n’avait à peu près jamais quitté : son père et sa sœur Jacqueline ont été, je crois, les deux plus grandes affections de sa vie. Eh bien ! rien de cette tendresse ne transparaît à travers la longue homélie janséniste qu’il adresse à sa sœur aînée et à son beau-frère pour les consoler. Jamais discours funèbre n’a affecté pareille austérité dialectique, pareil détachement des émotions humaines, pareille dureté, au moins apparente. Aucun de ces mots émus, vibrans et comme chargés d’humanité, qui nous touchent si profondément dans les oraisons funèbres de Bossuet : « Madame a été douce envers la mort, comme elle l’était envers tout le monde… » La seule parole un peu moins tendue que j’y relève est la suivante ; et encore peut-on trouver que ce retour sur soi trahit une préoccupation quelque peu égoïste du salut individuel : « Si je l’eusse perdu il y a six ans, écrit Pascal, je me serais perdu, et quoique je croie en avoir à présent une nécessité moins absolue, je sais