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IV

Nous sommes au 8 décembre 1654. Ce jour-là, à la suite d’un sermon qui « toucha très vivement »[1] Pascal, et d’un long entretien avec son frère, la sœur Jacqueline de Sainte-Euphémie écrivait à Mme Perier les lignes suivantes :


… Tout ce que je puis dire, n’ayant point de temps, c’est qu’il [Blaise] est par la miséricorde de Dieu dans un grand désir d’être tout à lui, sans néanmoins qu’il ait encore déterminé dans quel genre de vie. Encore qu’il ait, depuis plus d’un an, un grand mépris du monde et un dégoût insupportable de toutes les personnes qui en sont, ce qui le devrait porter, selon son humeur bouillante à de grands excès, il use néanmoins en cela d’une modération qui me fait tout à fait bien espérer. Il est tout rendu à la conduite de M. Singlin, et j’espère que ce sera dans une soumission d’enfant, s’il veut de son côté le recevoir (car il ne lui a point encore accordé ; j’espère néanmoins qu’à la fin il ne nous refusera pas). Quoiqu’il se trouve plus mal qu’il n’ait fait depuis longtemps, cela ne l’éloigne nullement de son entreprise : ce qui montre que ses raisons d’autrefois n’étaient que des prétextes. Je remarque en lui une humilité et une soumission, même envers moi, qui me surprend. Enfin, je n’ai plus rien à vous dire, sinon qu’il parait clairement que ce n’est plus son esprit naturel qui agit en lui…


Elle ne dit, pas tout, la sœur de Sainte-Euphémie, et, par modestie, par humilité chrétienne plutôt, elle dissimule son action personnelle, laquelle pourtant fut capitale en cette affaire. Jacqueline a été, ne disons pas la principale ouvrière, pour ne pas offenser sa pieuse mémoire, mais le principal instrument de cette seconde conversion de Blaise. Pascal ; et le peu que nous disent d’elle les historiens jansénistes nous permet cependant d’entrevoir et de deviner son rôle de directrice.

Pascal, si froissé et si attristé qu’il eût été de l’entrée de sa sœur au couvent et de l’insistance qu’elle avait mise à réclamer sa dot, n’avait pourtant pas rompu toute relation avec elle. Nous savons d’ailleurs qu’il finit par avoir honte de l’esprit de chicane qu’il manifestait, et par s’exécuter en fort galant homme, de l’aveu même de Port-Royal. Il est assez naturel de conjecturer que l’attitude si généreuse et vraiment chrétienne de toute la sainte maison, de la mère Angélique, en particulier, fit une vive et

  1. C’est à dessein que j’insiste peu sur ce sermon, dont le sujet, l’orateur, la date et la réalité mêmes sont loin d’être sûrs. Voyez à ce sujet les justes observations de M. G. Michaut.