de plus en moi, que je suis dans des études si éloignées de cet esprit-là, qu’à peine me souviens-je qu’il yen ait….
La « renonciation totale et douce » cette fois était complète. L’ascétisme chrétien l’a définitivement emporté sur toutes, les « grandeurs de chair, » sur toutes les « puissances trompeuses » de l’intelligence[1].
C’est qu’à vrai dire, quand il écrivait ces lignes, Pascal, avait trouvé le plus sûr moyen d’« utiliser » pour sa foi, sans inquiéter sa conscience, les dons prestigieux qu’il sentait en lui. Ecrire une Apologie du christianisme qui ramasserait ce que l’on a écrit de plus décisif et de plus fort « contre les athées » et les divers hérétiques ; qui, aux argumens déjà connus, ajouterait des preuves nouvelles dont l’apologiste aurait « fait l’essai sur son propre cœur ; » donner à cette démonstration un tour si original et si vivant que les « honnêtes gens » pussent la lire non seulement sans ennui, mais avec passion ; faire de cette œuvre de logique jet de haute raison une œuvre de piété et une œuvre d’art ; unir et fondre ensemble toutes les ressources de la plus pressante dialectique, de l’imagination la plus riche, de la plus chaude éloquence et de la plus ardente charité ; prendre et mêler tous les tons, l’ironie, l’émotion, la pitié, la colère, la poésie, la tendresse ou la prière ; être tour à tour savant ou philosophe, orateur ou moraliste, historien ou exégète, sociologue ou controversiste ; essayer en un mot de satisfaire à toutes les curiosités, à toutes les objections, à tous les désirs, parler à toutes les facultés et « remplir tous les besoins » de l’incrédule dont il s’agit d’emporter l’adhésion : voilà l’œuvre, peut-être de bonne heure entrevue, à laquelle désormais Pascal va vouer tout ce qui lui reste de santé, de génie et d’ardeur. Il n’en était pas de plus digne de lui, ni qui fit plus d’honneur à la générosité et à la profondeur de son christianisme.
C’est dans les ruines grandioses de cette œuvre inachevée qu’il faut chercher le dernier état de la pensée religieuse de Pascal. Il n’est point malaisé à découvrir. Dans cette Apologie
- ↑ Il y a, dans l’histoire de Port-Royal, un autre exemple, exactement parallèle, et également admirable, d’une pareille « renonciation : » c’est celle de Racine, que M. Jules Lemaitre appelle justement « le sacrifice le plus extraordinaire qu’ait enregistré l’histoire de la littérature. » Et le parallélisme se poursuit jusqu’au bout : Esther et Athalie sont, dans l’œuvre de Racine, ce que sont les Pensées dans l’œuvre de Pascal : une utilisation de leur génie au bénéfice de leur croyance.