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trente ans, j’ai distingué surtout trois catégories principales.

La première se compose de ceux qui se sont habitués à leur cellule, je n’ose dire comme un chien à sa niche ou un bœuf à son étable et à son joug, mais comme tant de braves gens sans reproche s’habituent à leur geôle professionnelle, à leur puits de mine menacé du grisou, à leur barque de pêche menacée de la tempête ou encore à d’autres besognes qui, moins dangereuses, ne sont certainement pas moins monotones. Enfin, le fait est là. Un détenu s’attache à sa cellule au point qu’au bout de quelque temps, il serait difficile de lui en assigner une autre sans le troubler et sans l’affliger. Il regretterait les murs de la première pour avoir attaché à chaque ligne et à chaque angle et à la position de chaque objet, des imaginations, des souvenirs, des fantaisies plus ou moins bizarres, qui désormais font partie de sa vie. La secousse donnée à cette routine apaisante lui en occasionnerait plus d’une autre, et, une fois sorti de ce sillon où il avait pris ses habitudes de travail et de rêverie, la nostalgie le reprendrait. Un libéré, jadis coupable d’un crime violent, réhabilité, marié dans une famille qui avait connu son passé et ne le lui reprochait pas, écrivait à son ancien directeur que, dans les momens inévitables où il était aux prises avec les soucis de la vie, il lui arrivait de regretter la tranquillité de son ancien séjour. On dira : C’est un signe que la solitude avait amolli son caractère et énervé sa volonté. Peut-être ! mais à moins qu’on n’ait la prétention de transformer les assassins en héros et les cambrioleurs en hommes d’initiative généreuse, c’est déjà pour une société un assez joli résultat que d’avoir amolli de pareilles natures. La perte résultant du déchet d’énergie qu’ils ont pu subir semble d’autant moins à déplorer qu’en somme ils travaillent et qu’ils travaillent utilement. Je ne m’indigne donc en aucune façon si je trouve, ici des figures empreintes d’une sorte de gaieté sénile, là des gens dont toute la récréation consiste à soigner un oiseau dans une cage et à mériter qu’on le leur remplace, quand le pauvre petit compagnon vient à mourir, un peu partout des hommes qui, courbés sur leurs outils, calculent sans doute jour par jour ce qu’ils ajoutent à leur pécule, attendent l’heure du préau pour y fumer la cigarette permise. Quelques-uns espèrent le dimanche pour entendre l’orgue et les chants de la chapelle, puis dévorer à volonté des livres de voyages. D’autres sont probablement dans le cas de celui qui me disait : « Les jours de la