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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/676

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moins que lui, friand de « jouer avec le tigre » et qui, dans sa réserve constitutionnelle, laissa percer toujours quelque hauteur. Aussi bien son rôle réclamait plus de tact que d’initiative : insinuer la Belgique dans la société des nations, lui inspirer la conscience de sa liberté sans l’exposer à en subir les risques.

Léopold II, né en 1835, trouve d’abord au foyer paternel des enseignemens pratiques, le modèle d’une royauté bourgeoise, aux desseins forcément limités, mais ouverte aux idées nouvelles, observatrice et réfléchie, habituée au calcul et aux transactions. À l’Ecole militaire et dans l’armée, le duc de Brabant, — tel est son titre d’héritier présomptif, — vit de la vie de son temps et se mêle à ses contemporains. Il en gardera une simplicité très moderne, nourrie de ce civisme belge où résonne l’écho flamand des vieilles libertés municipales. Tout jeune, du droit de la naissance, il entre au Sénat, dont, deux ans durant, il suit assidûment les délibérations en attendant l’heure d’y prendre part. Il aborde alors la tribune, toutes les fois que s’y discute une question nationale. Ses discours sont curieux à relire. La maturité en est frappante, la forme correcte, sobre et lumineuse. Nul élan verbal ; beaucoup de précision dans la pensée et dans les termes ; le goût du raisonnement ; l’appel constant à l’expérience. Le jeune homme de vingt ans qui parle avec aisance abuse d’ordinaire des idées générales trop vite assimilées et trop peu contrôlées. Ce sénateur adolescent les néglige. Sa pensée est positive ; ses aspirations sont pratiques.

Dès ce moment, c’est l’homme d’affaires, tant de fois attaqué depuis, qui apparaît dans le prince royal. Sa préoccupation dominante ? « Assurer à la Belgique sa place sur les marchés du monde. » Notez que nous sommes en 1856 et que la mode n’est pas alors à la politique mondiale, sujet habituel aujourd’hui de banalités oratoires. C’est cette politique que le duc de Brabant conseille à son pays. Il lui révèle, avec l’autorité d’un voyageur passionné, les débouchés possibles d’Afrique et d’Asie, l’Égypte, la Turquie, la Chine, le Japon, l’Indo-Chine, qu’il a tour à tour visités. Il veut « fonder un congrès des intérêts matériels, stimuler l’activité commerciale, mettre le producteur belge à même de transporter par des voies belges les marchandises exportées ; » en un mot « faire gagner à des Belges, conserver au pays l’argent qu’il donne à des commissionnaires du Havre, de Hambourg, de Rotterdam ou de Londres. » À l’appui