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Sénat, — sont pour eux des instrumens de règne. Une hautaine ironie les cuirasse contre les attaques. Le sentiment ne fait point peser sur eux ses chaînes de charme et de faiblesse. Leur urbanité même n’est que tactique. Pour leurs proches, dans l’existence intime, ils sont secs, impérieux et durs. Ils ne quêtent point la popularité par les moyens faciles où se plaisent les monarques débonnaires. Ayant beaucoup donné à l’intérêt public, ils entendent rester maîtres et juges de leur conduite privée, de leurs divertissemens particuliers. Ce sont des manieurs d’hommes et des créateurs de peuples, difficiles à juger dans l’instant qu’ils disparaissent, mais assurés d’une belle revanche. Car, s’ils sont discutables comme hommes, ils s’imposent comme chefs, et c’est comme tels qu’ils appartiennent à la postérité.


La position de la Belgique en Europe est fondée sur un traité de garantie. Mais il n’y a pas en politique de garanties absolues.

La neutralité belge est un droit, qui, pour être réel, a besoin d’être armé. Regardez une carte et lisez l’histoire : la précarité de ce droit, en cas de crise, est évidente. La Belgique est, depuis César, le chemin des armées. Lens, Senef, Steinkerque. Nerwinde, Malplaquet, Fleurus, Jemmapes, Waterloo, autant de noms belges. Ce pays, s’il n’est une « barrière, » suivant l’expression des anciens traités, devient un passage. Si ce passage est libre, on s’en sert. Sans doute, il ne peut s’agir pour la Belgique de former une armée égale à celle d’une grande puissance. Mais une armée, trop faible pour gagner des victoires, peut être assez forte pour garder une frontière. Il y a des opérations qu’on n’entreprend qu’en pleine sécurité et qu’empêche un minimum d’obstacles. C’est le cas d’une violation de la neutralité belge par une armée allemande ou française. C’est donc un sophisme de prétendre que, incapable d’égaler ses voisins, la Belgique doit rester désarmée. En réalité, elle ne serait neutre qu’autant qu’elle serait armée. Les souvenirs du général de Wimpffen, la correspondance de Guillaume Ier avec Bismarck, les articles les plus récens des généraux allemands, ceux par exemple du général de Schlieffen, ne laissent aucun doute à cet égard.

Cela est si vrai que tous les hommes d’État belges, dont