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mois et obtient en échange le maintien des dispenses ecclésiastiques et universitaires. Finalement, la loi est votée, sur la base de « un fils par famille, » mais avec l’éventualité par tous envisagée d’aboutir au service général, si la transaction apparaît insuffisante. Le Roi, à son lit de mort, enlève, par son intervention personnelle, le vote du Sénat après celui de la Chambre. Il avait trouvé la Belgique désarmée. Il la laisse armée et capable, à la première alerte, de s’armer mieux encore.

Aussi bien a-t-il singulièrement accru, en même temps que les moyens de défense, le prix de l’enjeu à défendre. Car la Belgique, sous son règne, est devenue, réalisant son rêve de jeunesse, une puissance mondiale. Est-ce ici le lieu de retracer l’histoire du Congo ? Non, sans doute, puisque cette histoire complexe et vaste a mérité déjà dans cette Revue et mérite encore plus d’une étude spéciale. Mais comment isoler cette prodigieuse création du règne et de la personne de Léopold II ? Jamais en effet œuvre humaine ne porta plus profondément la marque du cerveau qui l’a conçue ; rarement l’effort individuel modifia plus sensiblement les conditions naturelles. Rien, ni dans l’ordre politique, ni dans l’ordre moral, ne préparait la Belgique à un grand rôle africain et quand, au mois de septembre 1876, son roi réunit à Bruxelles une quarantaine de géographes appelés à coordonner leurs efforts « en vue d’ouvrir à la civilisation la seule partie de notre globe qu’elle n’eût pas encore pénétrée, » nul ne prévoyait le lendemain de ces assises scientifiques. Le Roi lui-même, s’il le concevait déjà, le célait par prudence et se défendait de toute vue particulière. Il ne s’agissait pas d’un dessein politique, pas même d’un projet commercial, tout au plus d’une croisade philanthropique.

On sait comment, à pas de géant, la croisade s’orienta vers les réalisations ; comment le comité d’études du début se transforma en une Association internationale ; comment l’Association elle-même devint l’État indépendant du Congo, avec Léopold II comme souverain et l’acte de Berlin pour charte. Les archives, quand elles s’ouvriront, ne livreront que la plus médiocre part des négociations ardues qui aboutirent à la naissance du nouvel État. Elles ne diront point l’action personnelle, les continuels voyages, les subtiles intrigues du business King passionné de résultats, saisi de l’enthousiasme créateur, taillant dans le grand, trouvant enfin à ses dons le champ élargi qu’il s’était, dès son entrée dans la