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les bassins de Zeebrugge, qui referont de Bruges un port de mer, les chantiers qui préparent « Bruxelles maritime… » La liste, pour longue qu’elle soit, pourrait s’étendre encore.

Grand règne donc, imposant plus que séduisant, comme tous les succès de l’intelligence et de la volonté ; règne qui commandera l’admiration, quand il aura fini d’occuper, par ses à-côté, la curiosité contemporaine. On a dit que c’était un règne d’affaires et d’homme d’affaires, un règne imprudent comme toutes les spéculations, un règne d’enrichissement royal plutôt que de progrès national. Mais que l’on compare aux profits de la Belgique ceux de son souverain, on n’estimera pus excessive la part assurée dans les bénéfices au gérant de l’entreprise. Quant aux risques d’avenir que l’on se plaît à exagérer, que valent-ils ? Est-il vrai que la Belgique, en s’élargissant et en s’armant, ait grevé son lendemain d’une lourde hypothèque ? Est-il vrai que son Roi l’ait exposée à provoquer les convoitises sans la rendre capable de les contenir ? Est-il vrai que la possession du Congo mette en péril la neutralité et la sécurité de la métropole ? Est-il vrai que l’armée belge fortifiée soit une victime désignée aux attaques d’un adversaire qui, plus faible, l’eût négligée ?

À ce sophisme paresseux, le passé, qui est une leçon d’effort, répond de façon décisive. Léopold II n’a pas voulu pour la Belgique d’une destinée d’effacement. Il s’est écrié avec Roosevelt : « Trois fois heureux, les peuples qui ont une histoire ! » et il a donné à son pays la possibilité de s’en créer une. Un peuple, en qui se développe le sens de l’action et de l’expansion, est une réserve d’espérances. L’abdication est le plus grave des échecs, — le seul grave, parce qu’il est accepté. Dans l’ordre national, comme dans l’ordre individuel, ceux-là sont forts qui ne s’y résignent pas, qui ne répudient pas la lutte où se forgent les énergies, qui ne veulent point mériter le dur jugement du poète :

Et propter vitam vivendi perdere causas.


André Tardieu.