l’absence, mères, époux, amans que la séparation déchire, qui lui réfuterait ses portraits de Consolation ? Car c’est ainsi qu’il les baptise. Combien devaient tomber de ces gracieuses têtes ! Mais la pitié pour les victimes ne l’empêche pas d’offrir les mêmes services aux bourreaux. Saint-Just, Collot, Barère, Couthon le cul-de-jatte, l’aristocratie de la guillotine, lui passent par les mains. Et c’est le moment qu’il choisît pour se marier et ouvrir, en pleine Terreur, la parenthèse d’une idylle.
Thermidor le trouve plus frais, plus fringant que jamais, dans une ivresse de vacances. Il est de toutes les fêtes, des soupers de Gohier et de ceux de Barras, l’émule de Garat, le rival de Trénis. Il se décrasse des sans-culottes avec les belles « sans chemises. » Ce fut là son instant d’éclat, son heure étincelante. Toujours il y eut en lui de l’incroyable, du muscadin, une façon qui trahissait l’ami de la Montasson et de la Tallien. Tel le montre le portrait de Gérard, en spencer et bottes à l’anglaise, charmant de dandysme et d’esprit, traînant par la main sa petite fille et escorté de sa levrette sur l’escalier du Louvre ; et c’est le temps où Boilly, cherchant le sujet à la mode, peint une réunion d’artistes, d’acteurs, de gens de lettres, tout un brouhaha d’hommes connus, tenant cercle chez celui d’entre eux qui est leur prince : l’Atelier d’Isabey.
Cependant, au milieu de ce carnaval et de ce monde sens dessus dessous, une femme avait compris que l’anarchie ne pouvait pas durer. Mme Campan, ex-femme de chambre de Marie-Antoinette, s’était mise, dans la société en dissolution, à reconstituer une cellule d’ordre. Elle avait le génie de l’éducation. Elle disait : « Je ferais danser des petits chiens. » Elle venait d’ouvrir à Saint-Germain-en-Laye le fameux pensionnat qui devait être, pendant trente ans, le conservatoire de belles manières, le séminaire des femmes distinguées de l’Empire. Elle y avait collectionné l’élite des professeurs. Isabey enseignait le dessin. Ce fut le point de départ de sa nouvelle fortune.
Une de ses élèves, à l’institut de Mme Campan, était Mme Hortense de Beauharnais, la fille de l’ancien général de Louis XVI. Très vite. Isabey se trouva lié avec la mère, qu’il avait rencontrée dans le monde de Barras. Il fréquentait l’hôtel de la rue Chantereine, où commençait à se montrer la maigre figure corse du général en chef de l’armée d’Italie. Souvent on le chargeait de ramener à Saint-Germain Hortense et son frère Eugène, et c’était toujours fête pour les enfans, car nul ne savait mieux les amuser que ce gamin. En un mot, il devint l’intime de la famille. Et lorsque l’hôtel Chantereine se trouva trop étroit pour