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Mme Bonaparte, femme du Premier Consul, c’est lui (du moins il s’en vante) qui la conduisit près de Rueil visiter la propriété de Mme Lecoulteux : l’achat de la Malmaison fut décidé séance tenante.

Dès lors, il est le commensal, le boute-en-train de la maison. De la cave aux écuries et du parc au salon, c’est lui qui surveille, presse, inspecte, dessine, conseille, corrige. C’est lui qui monte les charades, improvise les décors, costume les personnages. Pour coulisses, des paravens ; pour vestiaire, des châles, des fichus, tout ce qui tombe sous la main. Il saccage la garde-robe d’Hortense et de Joséphine, drape, chiffonne, épingle. Parfois le Premier Consul se déride, et on a le spectacle de le voir danser la monuco, ou de l’entendre, d’une voix creuse, déclamer une tirade tragique.

Mais il est impossible de suivre plus loin Isabey dans le dédale de son existence et de son activité. Je renonce à dire en quelques lignes ce qu’il fut pendant tout l’Empire comme inventeur de fêtes et entrepreneur de plaisirs, comme imprésario des bals des Tuileries, comme ingénieur tics divertissemens de Saint-Cloud et comme décorateur en chef de l’Opéra. Pas un feu d’artifice ne se tire, pas un ballet ne se monte, qu’il n’en ait imaginé le thème ou brossé les décors C’est un point sur lequel Mme de Basily-Callimaki a trouvé une foule de documens aussi curieux qu’imprévus. En même temps, il dirige l’atelier des peintres à la manufacture de Sèvres, dessine des modèles d’assiettes et de soucoupes, combine et peint la fameuse Table des Maréchaux et concourt, pour sa part d’artiste, au système du blocus continental en créant, pour les métiers de Lyon et de Jouy, des patrons de châles et de cachemires destinés à ruiner la concurrence anglaise. Et c’est lui encore qu’on charge de ces dessins d’actualité, espèce de chronique ou de journal en images, que répand la gravure et qui célèbrent les bienfaits du Consul ou de l’Empereur, ou associent le peuple à ses joies de famille : la Revue du Quintidi, après la paix d’Amiens, la Visite des ateliers Sevenne ou Oberkumpf, l’Inauguration de la digue de Cherbourg, la Première entrevue de l’Empereur et de Marie-Louise. C’est lui qui commémore, dans un atlas monumental, les cérémonies et les costumes du Sacre. Bref, depuis la fourniture des médaillons de tabatières, pour les cadeaux de l’Empereur, jusqu’aux dessins de l’étoile de la Légion d’honneur (si c’est bien lui qui est l’auteur de cette pièce magnifique des dimensions, d’un portrait de poche à celles d’un décor d’Opéra, il est le factotum universel, ingénieux, infatigable, l’homme qui suffit à tout, prêt à tout, qu’on ne prend jamais au dépourvu, et la cheville, ouvrière de la grande machine impériale en tout