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ou aux pauvres paupières sans cils de la princesse d’Orléans, dont il ne sût tirer une séduction étrange. Toutes ses femmes sont ressemblantes, et toutes paraissent aimables. Rien n’est joli, tout est charmant. C’est qu’on sent qu’Isabey les a beaucoup aimées. Ses mensonges sont pardonnables comme ceux de l’amour. Les femmes aiment toujours qu’on croie à leur mystère ; Isabey y croyait ou il feignait d’y croire : innocente supercherie ! Savez-vous ce qu’il veut, avec ses tulles et ses crêpes ? Dans une peinture précise jusqu’à la sécheresse il fait rentrer les droits du « vague » et de l’indéfini. Ses enveloppemens, ses blancheurs de vestales sont des synonymes candides et spirituels du « clair-obscur. » A toutes ces plébéiennes, à ces Madame Sans-Gêne bombardées par le sort des batailles au maréchalat ou au trône, il compose une distinction et des grâces patriciennes. En les noyant parmi les roses, en les baignant de ses harmonies printanières, mauves, bleuâtres ou rougissantes, en les enveloppant de voiles et de parfums, en faisant d’elles des créatures éoliennes et éthérées, c’est tout un côté de l’Empire qu’il a exprimé mieux que personne, tout le côté de roman et, si l’on veut, de « romance, » auquel il a donné un « pendant » pittoresque. On ne peut nier qu’il ait abusé de la formule. Mais il y a tels de ces portraits, — celui de Marie-Louise dans un corsage cousu de roses, sous un diadème de roses, près d’un bosquet de roses, ou celui de la reine de Hollande en « Madone du Grand-duc, » dans une symphonie d’azur et d’hortensias, — qui, dans tous les arts connus mériteraient le nom de chefs-d’œuvre. Et même devant la plus médiocre et hâtive de ces peintures, si l’on pense à celui à qui elle fut donnée, et qui l’emporta sur son cœur à Austerlitz ou à Moscou, à Dresde ou à Torrès-Vedras, sur toutes les routes d’Europe, en rêvant à une femme, ces médaillons vieillots prennent une vie touchante, et on se dit : « C’est ainsi qu’elles furent aimées. »

On conte que le jeune artiste, à son arrivée à Paris, lors de ses premiers succès de miniaturiste, eut un moment de scrupule. Il hésitait à choisir un genre subalterne, au lieu de suivre la voie illustre du grand art. Mirabeau, dit-on, le rassura. Isabey était homme à se décider tout seul. De bonne heure, il a dû prendre son parti de ne pas « travailler pour la postérité. » La miniature, ce semble, était une spécialité lorraine : presque tous les maîtres en cet art, où il y en a tant de charmans, sont de Nancy ou d’alentour, de Lunéville ou de Saint-Dié, de Mézières ou de Strasbourg. Isabey est trop avisé pour sacrifier cet avantage. Il se borne à perfectionner un genre qui réussit à en éliminer la gouache qui alourdit, à y substituer l’aquarelle, à