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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/764

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Quel avertissement pour tous ses pareils ! Joseph en Espagne essuie les pires désagrémens. Jérôme se soutient difficilement dans sa Westphalie. Depuis le second mariage, il semble que l’Empereur se détourne du système des dynasties collatérales pour concentrer ses affections, ses ambitions, ses espoirs passionnés sur la postérité directe qu’il attend. On dirait qu’à laisser aux mains de ses frères des morceaux d’empire, il craigne de porter atteinte à l’héritage du futur Roi de Rome. A la constellation impériale où des astres satellites gravitaient autour du grand foyer de rayonnement, il tend à substituer l’astre unique, absorbant tout en soi, consumant et dévorateur, se perpétuant à travers l’infini des temps[1]. Devant cette tendance à l’universel envahissement, bien que l’Empereur ne paraisse pas disposé à englober le royaume de Naples dans les réunions projetées, bien qu’il fasse exception pour cet État en faveur de Caroline et à raison des services que Murat lui peut rendre, il serait souverainement imprudent d’exciter sa colère. Il est donc nécessaire, plus que jamais indispensable d’user de précautions et de ménagemens. Il faut se montrer obéissant et docile, se faire souple, laisser passer la tourmente et continuellement plier, quitte à se redresser un jour, si les circonstances le permettent. Voilà ce que Caroline se propose de faire entendre très sérieusement à son mari ; elle veut à la fois le tranquilliser et l’avertir ; pour le moment, le danger n’existe pas ; on peut le faire naître et le provoquer par d’inopportunes résistances. Le seul moyen de se sauver est d’adopter un système d’acquiescement continu aux volontés du maître ; c’est en ne donnant sur soi actuellement aucune prise qu’on pourra réserver l’avenir.

Dans ces dispositions, la Reine franchit les frontières de son royaume. A Caserte, elle retrouve ses enfans, et la voici toute à la joie de les revoir. Le moment est délicieux ; c’est son cœur qui s’épanche dans cette première lettre à son mari : « Je suis la plus heureuse des mères, plus heureuse par l’idée que je suis plus rapprochée de toi ; » elle trouve ses enfans grandis, embellis : « Nous sommes au comble de la félicité de posséder un pareil trésor ! » Le 5, arrivée à Naples où elle ramène ses enfans, elle prend plaisir à les voir impatiemment déballer les cadeaux rapportés, s’égaie de leur vivacité, s’amuse de leur

  1. Sur cette conception, voir spécialement Frédéric Masson, Napoléon et sa famille, t. VI.