Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/797

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vent dans les feuillages portent à la rêverie, et rien de plus contraire à la conversation que la rêverie, elle est sa grande ennemie. D’ailleurs, il faut prévoir les jours de pluie. Je sais bien qu’il ne pleut jamais dans l’Astrée. Mais en cela d’Urfé ne s’est pas soucié d’être exact. La pluie est malheureusement une réalité avec laquelle il faut compter. Et quel trouble-fête que la pluie ! Mais il y a plus. La première condition pour bien converser, c’est de déposer, ne fût-ce que quelques instans, le fardeau de ses préoccupations ordinaires. Introduisez au milieu d’un cercle de personnes qui causent et qui ne songent qu’à causer, un homme soucieux, qui porte sur son front l’empreinte des inquiétudes qui le tourmentent ; la conversation ne tardera pas à languir. L’état de l’âme qui est propice à la conversation est donc un état artificiel dans lequel l’homme réussit à oublier les réalités sérieuses de sa vie, ses affaires, ses intérêts, ses déceptions, ses espérances aussi et ses perspectives d’ambition ; où il oublie tout cela, pour ne plus penser qu’à parler et à entendre parler les autres. Et cette situation d’esprit étant artificielle, il faut créer aussi à la conversation un lieu artificiel, qui lui soit spécialement consacré, un lieu destiné à la fête, où la lumière même soit artificielle, afin que ces bougies allumées crient à ceux qui entrent : « Hors d’ici les affaires et les affairés ! On ne s’occupe ici que de donner du plaisir et d’en procurer, si possible, aux autres.

Ce lieu artificiel qui est favorable à cet état d’esprit artificiel dans lequel l’homme se sent disposé à converser, c’est un salon. Or, le premier salon, le seul important, fut fondé en France, à Paris, à l’époque même où d’Urfé faisait paraître son Astrée. Catherine de Vivonne avait épousé, en 1600, le marquis de Rambouillet. Elevée en Italie, par une mère italienne, elle avait pris à Rome, ce centre du grand mouvement de la Renais sauce, le goût des choses de l’esprit et des plaisirs délicats. Revenue en France, elle fréquenta quelque temps la Cour ; mais l’air un peu grossier qu’on y respirait ne pouvait lui convenir, et elle s’en éloigna bientôt. S’érigeant en architecte, elle se fit construire un hôtel dont elle-même avait dessiné les plans. Les deux nouveautés de ce bâtiment consistaient l’une dans la place réservée à l’escalier qu’on mettait d’ordinaire au milieu, avec des salles d’un côté et de l’autre, ce qui donnait divers appartenons de dimension restreinte. Mme de Rambouillet plaça son